Thomas Siniecki, Media365 : publié le mardi 06 juillet 2021 à 15h00
Un Français ne s'est plus imposé sur son Tour national depuis 36 ans. Il s'agissait bien sûr de Bernard Hinault, qui décrocha en 1985 le dernier de ses cinq succès. Retour sur cette édition tendue, face à l'éclosion de Greg LeMond.
Après Jacques Anquetil et Eddy Merckx, Bernard Hinault devient en 1985 le troisième coureur de l'histoire à remporter cinq fois le Tour de France. Seul Miguel Indurain rejoindra ensuite le trio, Lance Armstrong ayant été destitué a posteriori de ses sept succès. C'est donc ce dernier triomphe, il y a 36 ans, qui fait encore du "Blaireau" un des recordmen de l'épreuve de référence, ainsi que le dernier vrai héros total des Français sur leur si symbolique course estivale. Pourtant, un certain Greg LeMond aurait pu gâcher la fête, s'il n'avait été contraint de prêter allégeance à son patron. "Si j'avais voulu être un salaud jusqu'au bout, j'aurais aussi gagné en 1986, assure encore Bernard Hinault. Mais je lui ai donné ma parole à la fin de cette édition 1985, et je l'ai respectée jusqu'au bout."
Chacun sa ou ses version(s), au fur et à mesure des années... Ça fait partie de l'histoire. Chez La Vie Claire, l'équipe qu'il a fondée avec Bernard Tapie en dirigeant, il reste sur un échec face à Laurent Fignon en 1984 au moment de se présenter au départ de ce Tour 1985. C'est l'année de la relance pour Bernard Hinault, qui sort d'une victoire sur le Giro et réussira donc le doublé. Le tracé était un peu fait pour lui, avec 160 kilomètres réservés au contre-la-montre, son exercice favori. D'autant qu'en l'absence de Laurent Fignon, blessé, les adversaires sérieux se font moins légion. Pedro Delgado est peut-être le plus menaçant, sans compter bien sûr LeMond qui se révélera au fur et à mesure des trois semaines de course.
"Quand on n'a pas la tête cassée, on peut toujours repartir"
D'abord vainqueur du prologue, il lâche temporairement le maillot jaune à Kim Andersen (désormais directeur sportif de l'équipe Trek - Segafredo) mais le reprend dès le premier vrai chrono, long de 75 kilomètres entre Sarrebourg et Strasbourg, pour le compte de la huitième étape. Dans des conditions difficiles - pluie, vent, brouillard -, Bernard Hinault régale et devance LeMond de plus de deux minutes. Puis arrive l'étape de Saint-Etienne, la semaine suivante (treizième étape). Le Français franchit la ligne le visage en sang, nez fracturé à la suite d'une grosse chute collective. Une des images marquantes du Tour de France, qui contribue à faire la légende aussi bien de la course que du natif d'Yffiniac (Côtes-d'Armor).
En 2015, il se disait "encore persuadé que c'est un règlement de comptes de l'Australien Phil Anderson" (pour Le Parisien) : "Pendant la course, j'avais fait en sorte que LeMond assure sa deuxième place en empêchant Phil Anderson de le rejoindre. Et donc, sur le cours Fauriel, bim ! le petit coup de coude. Je ne me méfiais pas et je tombe." Mais le Breton a la tête dure : "J'ai eu quelques points, on va à l'hôpital, on remet ça en ligne et ça doit remarcher le lendemain... Et ça a remarché ! Quand on n'a pas la tête cassée, on peut toujours repartir. On a serré les dents pendant deux jours, puis sur la dernière ascension du col de l'Aubisque, je redeviens le patron." Sur ces fameux deux jours de souffrance, LeMond est interdit d'attaquer par son directeur sportif Paul Köchli.
"Je perds le Tour à cause de lui", peste l'Américain, alors que Pedro Delgado reprend plus de quatre minutes dans le Tourmalet. Mais Bernard Hinault conserve tout de même son maillot jaune grâce au gros travail de ses équipiers. Avant de se reprendre, donc, dans l'Aubisque, sans toutefois aller chercher la victoire. Cependant, il parvient à limiter largement les dégâts avant le dernier contre-la-montre de 47,5 kilomètres (le troisième chrono individuel de l'épreuve, en plus d'un contre-la-montre par équipes et du prologue) autour du lac de Vassivière, et termine avec quasiment deux minutes d'avance sur LeMond (+1'42"). Nul n'imagine et n'espère alors qu'il s'agira de la dernière victoire d'un coureur français sur le Tour de France.
Depuis, et après sa deuxième place de 1986, seuls six autres coureurs ont réussi à valider ne serait-ce qu'un podium : Jean-François Bernard (troisième en 1987), Laurent Fignon (deuxième en 1989), Richard Virenque (troisième en 1996, deuxième en 1997), Jean-Christophe Péraud (deuxième en 2014), Thibaut Pinot (troisième en 2014) et Romain Bardet (deuxième en 2016, troisième en 2017). C'est aussi le dernier triomphe d'importance dans la carrière du "Blaireau", qui terminera donc deuxième l'année suivante derrière LeMond. Qui "n'aurait pas gagné en 1985", conclut Bernard Hinault, sûr de son fait et encore "un peu agacé" : "Je lui ai simplement rappelé un principe de base : on n'attaque pas son propre maillot jaune quand celui-ci n'est pas en perdition."