Portrait : Zheng, le nageur sans bras

Thomas Siniecki, Media365 : publié le lundi 23 août 2021 à 21h26

Tao Zheng a porté la natation handisport dans une toute autre sphère à Londres, et ce aux yeux du monde entier. L'image de ce jeune Chinois dépourvu de bras et recordman du monde avait subjugué sur tous les écrans.

Le 30 août 2012, la performance de Tao Zheng marque les esprits à Londres. Sans bras, le Chinois de 21 ans bat en finale du 100 m dos le record du monde de la spécialité, détenu depuis 2004 par le Russe Igor Plotnikov. Face à lui, certains disposent de leurs bras, puisque la catégorie similaire de handicap - en l'occurrence S6 - est calculée en fonction de l'aptitude fonctionnelle globale (et ce dans toutes les disciplines paralympiques). Lors de ces Jeux britanniques, il décroche aussi deux autres médailles de bronze, sur le 50 m nage libre et le 200 m 4 nages. Récompensé des plus grands honneurs civils chinois pour une jeune personne, il devient aussi une des dix personnalités les plus célèbres de sa province du Yunnan.

"Je n'oublierai jamais cette course. C'est surréaliste, je ne savais pas que plus de six millions de personnes l'avaient regardée. J'espère avoir fait une bonne première impression." Car, pour rappel, il s'agissait bien des premiers Jeux de Tao Zheng... Les deuxièmes ne seront pas mal non plus : il récidive ainsi quatre ans plus tard à Rio, dans un contexte plus compliqué. Loin du formidable effet de surprise de 2012, il souffre d'une blessure dans le bas du dos pour aborder sa spécialité du 100 m dos. Malgré tout, il bat à nouveau son propre record du monde de deux secondes (1'10"84), alors qu'il avait déjà amélioré cette référence l'année précédente. Inébranlable, il glane encore une ultime médaille d'argent sur le 50 m papillon en dépit d'une grippe intestinale !

"Je haïssais l'entraînement (...) Je ne veux plus nager pour gagner"

"Gagner malgré ma blessure au dos était le meilleur sentiment, mais ne pas gagner à cause de mon estomac était probablement mon pire regret", résume-t-il en 2017, évoquant aussi sa rivalité avec son ami Qing Xu, décuple champion paralympique qui avait justement remporté cette course. "Impossible qu'il s'arrête, s'exclame-t-il en riant. Et moi aussi, je m'arrêterai seulement quand il le décidera." Ayant perdu ses bras lors d'un choc électrique étant enfant, il a logiquement grandi avec Michael Phelps en tant qu'idole absolue. Entre Londres 2012 et Rio 2016, impossible pour lui de s'astreindre à une charge trop importante d'entraînement : "Pendant deux ans, en 2013 et 2014, je ne me suis pas réellement entraîné. Je pouvais nager un jour et prendre une semaine off."

Tao Zheng le dit clairement : "Je haïssais l'entraînement." Sauf qu'une telle approche, loin de ses 30 heures hebdomadaires, lui a permis de conserver une certaine fraîcheur... "Et abaisser ainsi mes attentes, ça n'a fait que rendre la victoire plus belle." C'est donc à Rio, à l'âge de 25 ans, qu'il a pu accomplir cette véritable apologie du plaisir - en dépit des pépins physiques. "Je ne veux plus nager et m'entraîner pour gagner", poursuivait-il un an après Rio, dans le même état d'esprit que son bloc post-Londres. "Je ne suis donc pas parti pour m'entraîner régulièrement l'année prochaine..."

Si le résultat s'annonce aussi convaincant qu'il y a cinq ans, ses adversaires ont de quoi trembler à Tokyo, où la collection de breloques risque fort de s'épaissir. Il entrera en lice dans la nuit de mardi à mercredi pour sa série du 100 m nage libre (désormais en catégorie S5), mais participera également au 50 m papillon et bien sûr au 50 m dos.



Aidé par un assistant au départ, afin de s'élancer directement à partir de la piscine en mordant une perche tendue pour se maintenir en équilibre, Tao Zheng garde constamment la tête dans les étoiles. C'est aussi lui qui a inspiré la romancière française Valentine Goby pour écrire son roman Murène il y a deux ans. Sa nage fabuleuse, en véritable poisson (murène, ai-je tout de suite pensé), son visage triomphant à l'annonce de son classement, m'ont éblouie, explique-t-elle sur le site Ecrire le Sport (de Gérard Ciefi). Mais j'ai eu envie d'incarner cette idée de métamorphose dans un personnage de pure fiction." L'écrivaine précise, pour conclure, n'avoir "conservé que l'image de Tao Zheng, la silhouette à la perte définitive, qui commandait une révolution intérieure, et du mouvement".

A 30 ans, le Chinois est toujours une référence dans son sport, deuxième du bilan mondial sur 50 m nage libre cette année. Il est évident que la première semaine de compétition sera encore marquée par celui qui, il y a déjà neuf ans, avait ébloui la planète de ses exploits. Qui, mieux que lui, a pu personnifier l'idée que rien n'était impossible ? C'était son but et sa fierté première, dans ses interventions à la suite du déferlement médiatique provoqué par cet incroyable premier record du monde, marquant à jamais l'histoire des Jeux Paralympiques.

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