Portrait : Avant Fourcade, il y a eu Poirée

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Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 21 janvier 2022 à 21h29

Raphaël Poirée a fait connaître le biathlon en France, avant l'immense coup d'accélérateur de Martin Fourcade. Le quadruple vainqueur du globe de cristal, lui aussi un des plus grands de son sport, n'a en revanche jamais été champion olympique.

Les plus jeunes l'ignorent peut-être, mais Martin Fourcade n'a pas été la première star du biathlon français. Vainqueur de sa première manche de Coupe du monde en 1998 (un sprint à Ruhpolding), Raphaël Poirée remporte en 2000 son premier gros globe de cristal. Le début de son immense domination, qui le verra encore remporter trois Coupes du monde lors des quatre années suivantes (en 2001, 2002 et 2004). Et là où Martin Fourcade a dû faire face à Emil Svendsen puis Johannes Boe comme ennemis devenus historiques, celui de Raphaël Poirée était un autre Norvégien, Ole Einar Bjoerndalen. Si ce dernier a poursuivi ensuite plus longtemps sa légende, pour remporter au final six gros globes (1998, 2003, 2005, 2006, 2008 et 2009), son histoire est inévitablement liée à celle du Français.

D'autant que ce dernier s'est progressivement beaucoup plus rapproché de la Norvège que de la France. D'abord en épousant en 2000 une autre biathlète, Liv Grete Skjelbreid - elle-même victorieuse d'un globe de cristal, octuple médaillée mondiale et triple médaillée olympique -, avec qui il a eu trois filles désormais âgées de 18, 15 et 13 ans. Il y a établi sa vie et y travaille désormais dans les travaux publics. Loin de toute agitation, même s'il accepte encore ponctuellement de donner un avis de consultant, le Drômois a régulièrement pioché aux Mondiaux, où il a seulement brillé en mass start en étant sacré trois années de suite (de 2000 à 2002). Seule son édition de rêve en 2004 a été celle de tous les succès, avec trois médailles d'or (individuelle, sprint, mass start) et une d'argent (poursuite).

"La vie est comme ça, prête à vaciller. Il faut être prêt"

Mais le vrai drame sportif de la carrière de Raphaël Poirée, c'est bien sûr les Jeux. Alors qu'Ole Einar Bjoerndalen a été champion olympique cinq fois, dont trois sur les seuls Jeux de Salt Lake City en 2002 - et une dernière fois en 2014 à Sotchi -, Raphaël Poirée n'a pu faire mieux qu'une deuxième place sur la poursuite en 2002 (et deux médailles de bronze en relais, en 2002 et 2006). Sinon, comme pour beaucoup de ses Mondiaux, les quatre épreuves individuelles ont souvent été synonymes de calvaire pour lui. Naviguant seulement entre la neuvième et la douzième place lors des individuelles, sprints ou mass starts à Salt Lake City et Turin, il abandonne même en Italie lors de la poursuite. Pour Le Monde, en 2016, il plaisantait sur le fait que les Jeux de Sotchi (en 2014) étaient ses "meilleurs", puisqu'il les commentait...

Il considère même les Jeux comme sa "plus grosse erreur" : "Je ne l'ai pas vécu comme un évènement assez exceptionnel. Je l'ai toujours considéré comme une course comme les autres." Raphaël Poirée, qui a rapidement entraîné avec l'équipe de Biélorussie après sa carrière, est aussi un homme plein de tourments et de réflexions sur la vie, abandonné par un père qu'il n'a jamais connu. Il y a deux ans, il a ainsi publié un deuxième livre, le premier ayant été écrit au moment de sa retraite de sportif. L'an dernier (pour Le Figaro), il se faisait encore le plus philosophe possible : "Je fais tout pour être heureux. Mais il faut le travailler tous les jours. Rien n'est gratuit. Dans la vie, quand il y a des périodes où tout va bien, il faut déjà être prêt dans sa tête parce qu'il va arriver quelque chose. La vie est comme ça, prête à vaciller. Il faut être prêt à trouver des solutions."


Raphaël Poirée ne fait pas mystère des difficultés ressenties à la suite de ses exploits, ce qui justifiait déjà la réalisation de son premier ouvrage (interrogé cette fois par Le Progrès) : "Ce n'est jamais facile de s'arrêter. J'ai connu une petite dépression, j'ai hésité à revenir sur le circuit. Mais le fait d'écrire m'a permis de poser mes valises. Ça a été une forme de thérapie. Ensuite, la vie a suivi son cours : j'ai trois enfants, j'ai divorcé, j'ai été coach, j'ai travaillé un peu pour la télévision puis sur une plateforme pétrolière, il m'est arrivé un accident de quad qui a failli me laisser paralysé... Je me suis dit que c'était intéressant de montrer comment j'avais réagi par rapport à tout ça. J'avais ce deuxième livre en tête, mais il me fallait de la distance, du recul, de l'âge aussi."

En 2011, au début de son avènement, Martin Fourcade lisait et entendait déjà qu'il serait peut-être le futur Raphaël Poirée. Mais le Catalan essayait déjà d'écrire sa propre histoire : "Le biathlon français se cherchait un nouveau leader capable de gagner la Coupe du monde, d'être régulièrement sur les podiums. C'est moi, mais la comparaison s'arrête là. On n'est pas du tout pareil dans le caractère : lui, il voulait tout gagner. J'ai énormément de respect pour lui comme pour Ole Einar Bjoerndalen, qui sont des champions immenses. Je m'inspire de ce qu'ils ont fait pour gagner et pour rester au sommet. Mais je ne me bats pas pour rentrer dans le livre des records." Chacun à leur niveau, Raphaël Poirée et Martin Fourcade ont tenté de lier le sport à une idée de la vie.

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