Aurélie SACCHELLI, Media365, publié le mardi 15 novembre 2022 à 10h05
Fabrice Amedeo a vu la mort de près lundi sur la Route du Rhum. Son bateau Nexans - Art Fenêtres a subi une explosion, puis un incendie, avant de sombrer au large du Portugal. Le récit du skipper fait froid dans le dos.
C'est un miraculé qui s'est exprimé lundi soir sur le site de la Route du Rhum. Fabrice Amedeo (44 ans) a bien cru que sa dernière heure était arrivée, suite à l'explosion dont a été victime son Imoca Nexans - Art amp; Fenêtres. Le monocoque a ensuite pris feu, puis a sombré au large des côtes portugaises. Le skipper a pu s'en sortir grâce à son radeau de survie, et a été récupéré par un cargo, sain et sauf. Un petit miracle, au vu de son incroyable récit. Morceaux choisis.
Amedeo : "Je suis au milieu des flammes"
« Peu après 12h30, nouvelle fumée à bord. Suivie d'une explosion. Je retourne dans la cabine à tâtons et parviens à récupérer ma TPS (combinaison de survie). Mon Grab bag (sac de survie) était resté dans le cockpit. Je retourne chercher mon alliance. Je donne un coup d'extincteur mais rien n'y fait. La fumée n'est pas blanche comme hier mais jaune. Le cockpit se gondole et jaunit. Les embruns d'eau de mer font comme le bruit de l'eau sur une casserole. Je comprends que je vais devoir évacuer. Je préviens mon équipe d'une possible évacuation. Au moment où je raccroche, je suis alors à l'arrière du bateau prêt à déclencher ma survie : un torrent de flamme sort de la cabine et de la casquette. Je suis au milieu des flammes. Je ne peux même pas ouvrir les yeux. Je parviens à pousser le radeau de survie à l'eau et à sauter. Normalement le bout qui tient la survie au bateau est sensé lâcher. Il ne lâche pas. (...) L'Imoca me tire à lui. Les vagues me ramènent dangereusement à lui. Je trouve finalement le couteau et coupe. Mon radeau dérive sous le vent de l'Imoca qui est en flammes. Il va mettre 30 minutes à sombrer. Je lui ai parlé et l'ai remercié. Nous devions faire le tour du monde ensemble dans deux ans. (...) Je me mets en arrière du radeau pour qu'il ne se renverse pas. La mer est très très formée. Je fais le point sur le matériel à bord et me prépare à la suite. Je rassemble les fusées. Mets la VHF autour de mon cou. Je passe trois à quatre heures dans ce radeau. Je suis étonnamment serein. Le radeau se remplit régulièrement d'eau des vagues qui déferlent légèrement. J'écope mais me sens en sécurité. Je sais pourtant que rien n'est joué. Toutes les 30 min, pour épargner les batteries, je lance un appel Mayday à la VHF."
Amedeo : "C'est fou cette capacité animale qu'a l'Homme à gérer une situation de survie"
"Au bout d'un moment une voix me répond. Un cargo qui se trouve à 6 milles de ma position arrive sur zone. Je suis rassuré mais ne vois pas comment je vais monter à bord d'un tel mastodonte avec cette mer. (...) Je suis à environ deux milles. Je percute une fusée de détresse. Il me voit. Il me perd. J'en percute une deuxième. Il me voit et arrive sur zone. Il tente une première approche qui échoue. C'est très impressionnant d'être dans mon radeau pneumatique à quelques mètres de ce géant d'acier. (...) Le radeau frotte contre la coque de l'avant vers l'arrière. Si ça ne marche pas, la suite va être compliquée. L'équipage me lance des cordes que je ne parviens pas à récupérer dans un premier temps. Finalement j'y parviens. J'en récupère une proche de la proue du navire. Tout se joue sur le fil. Il y a l'épaisseur du trait entre la réussite et l'échec, la survie et le drame. L'équipage me tire vers un escalier qui a été descendu. Avec les vagues je monte parfois au niveau de l'escalier puis redescends 5 mètres en dessous. C'est la dernière épreuve. Si la survie passe sous l'escalier elle va être percée et moi je vais être projeté à l'eau. Je m'approche. Une première fois : je ne la sens pas. Une seconde vague, je monte et hop je saute sur l'escalier que j'atteins puis me retrouve dans les bras d'un homme casqué. Je remonte sur le pont. C'est une fois à bord du cargo que la peur et l'adrénaline sont venus. Mes jambes tremblaient. C'est fou cette capacité animale qu'a l'Homme à gérer une situation de survie. Et puis ça retombe. La mort n'a pas voulu de moi aujourd'hui ou plutôt la vie n'a pas voulu que je la quitte. Je suis dévasté mais le plus heureux des hommes car ce soir ma femme et mes filles ne vont pas se coucher en pleurant."