Thomas Siniecki, Media365 : publié le samedi 05 juin 2021 à 00h06
Alors que les Mondiaux de judo s'apprêtent à débuter en amont des Jeux Olympiques, c'était plutôt au sortir d'une olympiade que David Douillet a décroché le premier grand titre de sa carrière, il y a désormais près de 28 ans.
En arrivant aux Mondiaux de Hamilton, au Canada, à la fin du mois de septembre 1993, David Douillet est loin d'être un inconnu sur la planète judo. Médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Barcelone l'année précédente, il vient aussi de terminer troisième du Tournoi de Paris et vice-champion d'Europe. La consécration mondiale n'est donc qu'une suite logique pour le colosse français. Face au sympathique Géorgien, David (tiens, tiens...) Khakhaleichvili, Douillet prend sa revanche sur celui qui venait justement de le battre en finale des Championnts d'Europe. Et qui est aussi champion olympique en titre, en option. A une minute et 30 secondes de la fin du combat, il place un waza-ari décisif. A six secondes du terme, son adversaire jette l'éponge.
Douillet devient le premier Français champion du monde des lourds. Ce qui, avec le recul de la carrière globale de l'intéressé puis bien sûr avec Teddy Riner dans la foulée, nous paraît désormais une formalité, résonne à l'époque comme une authentique révolution dans un sport où les Japonais trustent tout au niveau mondial. "Etre champion du monde, c'est le rêve que j'ai fait quand j'étais gosse. Quand je pense aux grands lourds Japonais qui ont fait l'histoire du judo, le fait d'inscrire mon nom après les leurs me procure une joie indicible. J'aimerais être champion du monde aussi souvent que Yasuhiro Yamashita, quatre fois titré." A ce moment-là, c'est plutôt Stéphane Traineau qui représentait encore les meilleures choses tricolores.
Mais la tornade Douillet n'avait pas le temps. Sa personnalité, qui sera magnifiée des années plus tard aux JO d'Atlanta puis Sydney, intrigue déjà la France, au moins celle du sport. "Quand j'étais junior, j'ai suivi plusieurs stages au Japon", explique Douillet, passionné de niche à une époque où la mondialisation est encore bien lointaine. "On a pu apprendre leur judo. Chaque pays pratique un judo différent. Il peut s'approcher de la lutte ou être plus physique. Les Japonais, eux, sont très techniques. Aller là-bas a été très enrichissant. Ce n'est plus le cas, il existe un changement de mentalité au Japon. Ce ne sont plus des guerriers : auparavant, les judokas japonais étaient des samouraïs. Désormais, dès qu'ils ont mordu la poussière, ils baissent les bras."
"J'ai très faim, j'ai 24 ans et je veux être champion olympique"
S'autorisant un défilé en kimono sur les Champs-Elysées, à pied et au beau milieu des voitures, pour un reportage TV, il salue certains qui le reconnaissent. A peine champion du monde, il se projette déjà très loin : "J'ai très faim de judo, j'ai 24 ans et je veux être champion olympique. Atlanta sera encore plus difficile, je serai l'homme à abattre." Et pourtant, les Jeux Olympiques n'auront lieu que près de trois ans plus tard... Son coach et idole Fabien Canu revient sur ces Mondiaux, encore à chaud, et assure avoir "vraiment eu peur de ce monstre, cette puissance physique, c'était impressionnant". Douillet regrette l'absence de possibilité d'entraînement : "En France, il n'y en a pas des tonnes qui font 130 kg. Et surtout le niveau, ce n'est pas facile..."
Drouillet, c'est bien ainsi que son nom est écrit à la télévision canadienne sur le podium de ces Mondiaux, ne sera plus jamais victime d'erreur orthographique de ce type. Douillet réussit là où Jean-Luc Rougé a échoué neuf ans avant lui, également en finale mondiale des lourds. Pas rancunier, surtout doté d'une parfaite intuition lorsqu'il s'agit d'assurer l'avenir de son sport national, ce dernier (qui sera longtemps le président de la Fédération Française) assure lui avoir "tout de suite réservé une chambre à l'INSEP quand je l'ai vu sur le tapis, il dépassait déjà les autres d'une tête". Même Angelo Parisi, champion olympique de la catégorie en 1980, n'avait jamais été champion du monde. Le pari sur le long terme est en marche.
"Dès le matin, j'ai senti que ce serait une bonne journée, conclut Douillet au sujet de ce week-end canadien de rêve. Pas de problème de concentration, pas de complexe." Cette concentration qui le rend "totalement lucide", selon ses propres mots, au moment d'aborder n'importe quel combat. Douillet sera encore trois fois champion du monde, deux fois en 1995 puis encore en 1997, à Paris. Et donc deux fois champion olympique, dont en 2000 pour une retraite au sommet de sa gloire à Sydney. Beaucoup ne se souviennent que de ça, et c'est toute la force des Jeux Olympiques. Douillet a porté le judo dans une autre dimension en France. Mais c'est l'occasion de se rappeler que c'est bien à Hamilton que ce compteur ininterrompu de titres a été enclenché.