Portrait : Bartali, un mythe italien

Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 20 mai 2022 à 22h23

Derrière Alfredo Binda, Fausto Coppi et Eddy Merckx, les trois hommes à cinq victoires sur le Giro, Gino Bartali (à gauche sur la photo, avec Fausto Coppi) fait partie des cinq - avec Bernard Hinault, notamment - à avoir remporté trois fois le Tour d'Italie.

Gino Bartali, c'est une plongée dans l'Italie de la guerre et la rivalité avec Fausto Coppi, qui demeure une des plus grandes de l'histoire du cyclisme. Dès sa deuxième année professionnelle, en 1936, il remporte son premier Tour d'Italie à 21 ans. Quasiment dans la foulée, un drame personnel le touche avec la mort de son jeune frère Giulio dans un accident. A vélo, bien sûr, la seule raison d'être de la famille... Après un break, il parvient tout de même à remporter le Tour de Lombardie pour conclure sa saison. En 1937, sa domination globale s'affirme avec un deuxième Giro consécutif, ce qui le place parmi les favoris du Tour de France, où il s'engage pour la première fois. A cause d'une chute, il finit par perdre trop de terrain et abandonner. Mais ce n'est que partie remise...

Dès l'année suivante, il se retire ainsi du Giro (un sacrilège national) pour se consacrer au Tour. Bien lui en prend : il remporte l'épreuve avec une facilité déconcertante, plus de 18 minutes d'avance sur son plus proche poursuivant, Félicien Vervaecke. De retour sur son Tour d'Italie en 1939, il fait se fermer tous les parapluies sur le bord de la route lors d'une étape, simplement parce qu'une personne avait joué avec la foule en leur faisant croire que Gino Bartali n'aimait pas les parapluies ouverts... Les Italiens sont à l'unisson derrière leur icône à bicyclette, dont l'image ne cesse d'être portée au firmament par ses prises de position de plus en plus répétées contre Benito Mussolini, qui s'acharne pourtant à l'utiliser dans ses diverses opérations de propagande.

"Je raflais tous ses flacons, bouteilles, fioles, tubes, cartons, boîtes, suppositoires..."

Durant la guerre, Gino Bartali devient un héros en profitant de son incroyable notoriété pour aider à cacher des juifs. Réquisitionné pour porter des messages à vélo, évidemment, il transporte en réalité des faux papiers, franchissant tous les contrôles sans aucun soupçon de par son statut. Surnommé le "Pieux", il répond ainsi à son inébranlable foi et finit par être accusé de vouloir se réfugier au Vatican, en 1943. Il est emprisonné durant plus d'un mois et parvient à échapper aux tribunaux de guerre, la fin du conflit approchant - son nom figure désormais sur le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, pour saluer son implication. Lorsque la vie reprend son cours, et notamment les compétitions, sa popularité est donc plus immense que jamais.

En 1946, il gagne ainsi le troisième Giro de sa carrière face à Fausto Coppi, qui l'obnubile peut-être plus encore que ce dernier ne l'était par la science et la médecine : "Je raflais tous ses flacons, bouteilles, fioles, tubes, cartons, boîtes, suppositoires... J'étais devenu si expert dans l'interprétation de toute cette pharmacie que je devinais à l'avance le comportement que Fausto Coppi allait avoir au cours de l'étape." Lors de ce Tour d'Italie 1946, Gino Bartali va même jusqu'à faire récupérer une fiole jetée dans un champ par son meilleur ennemi au cours d'une étape. Il y trouva un résidu de médicament français et en a "commandé une caisse entière" ! "Je l'étudiais, le regardais, le scrutais, le passais au crible, longtemps et sans me lasser, avec la volonté forcenée de trouver quelque chose."

Et comme il le dit lui-même, "un jour, ma ténacité reçut sa récompense" : "Dans le creux de son genou droit, une veine se gonflait et apparaissait sur cinq à six centimètres dès que le prenait la toxémie musculaire à laquelle est soumis tout coureur pendant l'effort (...) A ce moment, Fausto Coppi devenait vulnérable et sa plastique s'altérait." En 1948, Gino Bartali gagne son deuxième Tour de France dix ans après son premier succès, un exploit qui n'a jamais été égalé. Il répond ainsi à l'appel de son Premier ministre, le sommant de gagner le Tour afin de calmer les Italiens après une tentative d'assassinat politique à deux doigts d'embraser le pays... Quelques mois plus tard, c'est aussi le sommet absolu de sa rivalité avec Fausto Coppi, puisque les deux compères se marquent tellement lors des Mondiaux qu'ils laissent chacun échapper la victoire.

Sur le Tour de France 1952, Fausto Coppi exige dans un premier temps que Gino Bartali ne soit pas engagé, tant il craint que ce dernier menace sa victoire. Il se mue finalement bel et bien en équipier modèle, donnant notamment lieu à cette photo de la gourde qui est devenue un symbole. Vainqueur de quatre Milan-San Remo et de trois Tours de Lombardie, Gino Bartali a aussi terminé sept fois meilleur grimpeur du Giro et deux fois sur le Tour de France (et dix fois sur les deux podiums, au cumulé). Alors que Fausto Coppi était subitement décédé de la malaria dès 1960, lui avait pu rester jusqu'au bout une légende du 20eme siècle pour la petite reine, en rejoignant les cieux en mai 2000 à l'âge de 85 ans. Chez lui, à Florence, devenue aussi grâce à lui une ville de vélo pour l'éternité.

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