Portrait : Sabine, l'homme qui déplaçait les dunes

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Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 14 janvier 2022 à 15h05

Le Dakar est arrivé jeudi en Arabie saoudite, 36 ans jour pour jour après l'accident d'hélicoptère qui coûtait la vie à cinq personnes, parmi lesquelles Daniel Balavoine et Thierry Sabine, l'historique fondateur de la course.

En 1978, Thierry Sabine prend part à la course Abidjan-Nice en moto. Littéralement perdu dans le désert, il frôle la mort en marchant trois jours seul, sans nourriture ni eau. "Considère que tu fais du rab", lui assène alors le pilote venu le sauver. Il n'en fallait pas plus pour envoûter l'aventurier, qui décide d'organiser un Paris-Dakar dès l'année suivante. Pilote plus qu'émérite, et pas seulement de rallye-raid puisqu'il a également pris part aux 24 heures du Mans en 1975 et 1976, il avait aussi créé l'Enduro du Touquet en 1975. Neuf ans plus tard, le 14 janvier 1986, alors que la popularité de son épreuve bat son plein, il survole le Mali en hélicoptère avec quatre autres personnes. Dont le chanteur Daniel Balavoine, qui l'accompagne pour défendre avec conviction des missions humanitaires.

Ce jour-là, les journalistes Jean-Luc Roy, Patrick Poivre d'Arvor, Patrick Chêne et Yann Arthus-Bertrand avaient notamment cédé leur place dans l'hélicoptère. Tour à tour, ils avaient finalement pu bénéficier de l'arrivée imprévue d'avions pour effectuer chacun leurs trajets respectifs. Un premier arrêt est effectué en début de soirée, au départ de la deuxième étape de la journée. Mais le vent de sable est trop fort et contraint l'engin à repartir aussitôt. A 19h, il fait nuit et l'appareil - dépourvu d'éclairage - doit se poser à une vingtaine de kilomètres de Gourma, leur point d'arrivée. Une opération quasiment de routine pour Thierry Sabine, qui appelle pour qu'on vienne chercher son convoi avec un véhicule terrestre.

Ickx : "C'était irréel, impensable qu'il se fasse prendre ainsi"

C'est alors que l'hélicoptère repart malgré tout, pour une raison qui demeure toujours inexpliquée 36 ans plus tard, tentant de rejoindre Gourma en rase-mottes en suivant les feux d'un 4x4 de la course. Charles Belvèze et Jacquie Giraud sont les deux occupants de cette voiture dont l'hélicoptère a tenté de se servir de repère. Ils ont vu l'accident et sont immédiatement revenus sur les lieux, mais sans aucun moyen d'assistance et avec une forte menace d'explosion de la carcasse de l'hélicoptère. Tout proches de l'arrivée, ils décident plutôt d'aller vite avertir les secours. Ils croisent sur leur chemin le 4x4 envoyé pour venir chercher Thierry Sabine et ses camarades, qu'on pensait logiquement encore en attente sur leur position d'appel.

Clash entre le pilote de l'hélicoptère et Thierry Sabine, réputés en froid ? Décision urgente à cause d'une morsure de serpent ou piqûre de scorpion ? Bavure militaire au-dessus d'une zone de conflit ? Les thèses et mystères se sont rapidement succédés, au fur et à mesure des jours, et continuent d'alimenter le mythe et le souvenir. Une plaque commémorative, près d'un acacia solitaire, trône désormais sur le lieu du crash en hommage à Thierry Sabine. "Il était complètement incapable de piloter de nuit, jamais il n'aurait pris cette responsabilité", assure Patrick Fourticq, le responsable de la flotte aérienne, moins d'une semaine après l'accident. Le légendaire Jacky Ickx, vainqueur en 1983, se souvient avant tout d'un "baroudeur".

"C'est l'aventure qui nous plaisait, on allait au bout du monde", disait de lui son grand ami Hubert Auriol, dont le décès l'an dernier n'a pas manqué de raviver la flamme. Lui aussi dingue du Dakar, dont il a pris la direction de 1995 à 2004, il est également parti (après une longue maladie) alors qu'une édition de sa course était en cours, le 10 janvier 2021. Liés jusqu'au bout... Thierry Sabine, c'était l'esprit le plus brut du Dakar, celui qui attirait les stars comme Claude Brasseur, Caroline de Monaco ou Michel Sardou. "Personne n'y a cru, on était assommés, se rappelle encore Jacky Ickx. C'était irréel, impensable qu'un homme à qui tout réussissait se fasse prendre ainsi." "Il a créé une épreuve autour de lui, soutenait Hubert Auriol. Même si c'est en Argentine, on pense encore à lui."

Et même en Arabie saoudite, qui vient d'abriter jeudi sa troisième arrivée consécutive. Le nom de rallye Dakar, souvent ridiculisé depuis ces changements de continent, permet au moins de maintenir vivant l'esprit de Thierry Sabine. De respecter l'héritage de son père Gilbert, mort en 2019 à près de 100 ans et qui avait succédé à son fils jusqu'en 1993 à la direction de la course. Et près de 50 ans plus tard, l'Enduro du Touquet reste aussi un autre monument du sport mécanique. Si l'insouciance des années 80 a disparu, Thierry Sabine n'en était pas moins un véritable visionnaire. "L'homme qui déplaçait les dunes", comme Jean-Luc Roy a titré la biographie de son pote en décembre 1986, quelques mois seulement après sa disparition.

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