Thomas Siniecki, Media365 : publié le mardi 31 mai 2022 à 18h43
Dix ans d'absence en Ligue 1, c'était bien trop pour l'AJ Auxerre, un des monuments du football français. Une légende achevée en 1996, lorsque les Bourguignons décrochaient le titre de champion une semaine après leur victoire en Coupe.
Guy Roux, au courant des résultats sur les autres terrains, s'extirpe en sprintant de son banc au Roudourou. Lionel Charbonnier comprend lorsque sa fidèle doublure Fabien Cool vient lui annoncer que Metz et le PSG, dans le même temps, n'ont pas gagné et offrent officiellement le premier - et seul - titre de champion de France de l'AJA. Le coach emblématique, sans son bonnet par cette douce soirée bretonne de printemps, reste d'un calme olympien au micro, malgré l'extrême chaleur du moment : "C'est une année formidable, je dédie cette victoire à tous les Bourguignons, tous les gens de l'Yonne et d'Auxerre. C'est bien que ceux qui travaillent longtemps et bien finissent par être récompensés. Les joueurs sont admirables et talentueux, il ne faut en oublier aucun des 23."
Ce n'est sans doute pas un hasard si cet incroyable sacre intervient sur la pelouse de Guingamp, autre grand village d'irréductibles que seul le football a permis de faire connaître en France. Tous les spectateurs du Roudourou applaudissent et acclament même l'AJA, conscients du moment historique. Pourtant, les Auxerrois n'étaient pas partis pour réussir une telle saison... "On a douté quand on était à onze points du Paris Saint-Germain, c'est évident qu'on n'allait pas dire qu'on gagnerait... On essayait simplement de se qualifier en Coupe d'Europe. On a fait une très belle deuxième partie de saison. Nous avons la meilleure attaque et la deuxième défense, on le mérite. Je ne pense pas qu'on changera, tout le monde reste raisonnable et garde les pieds sur terre."
Hamel : "On a fait 33 ans ensemble, et tout arrive d'un seul coup"
Jamais avare d'un bon mot en toutes circonstances, surtout à l'adresse des locaux, Guy Roux conclut à l'attention du préfet de l'Yonne : "Qu'il envoie des gendarmes à l'aéroport vers 23h30." Cette AJA, c'était aussi celle de Laurent Blanc, Bernard Diomède ou Stéphane Guivarc'h, trois autres futurs champions du monde - en plus de Lionel Charbonnier. En 1998, Auxerre sera d'ailleurs le club le plus représenté parmi l'effectif des Bleus sur le toit de la planète, avec trois éléments (seul Laurent Blanc étant parti), à égalité avec l'AS Monaco. Mais cette AJA, c'était aussi Lilian Laslandes, Corentin Martins, Sabri Lamouchi, Franck Silvestre, Taribo West, Moussa Saïb, Christophe Cocard, Philippe Violeau, Alain Goma, Franck Rabarivony... Les hommes de l'immuable 4-3-3 de Guy Roux.
"Auxerre, c'est le Brésil", le chant retentit vite dans le vestiaire et reste encore un hymne des belles années enfin retrouvées à l'Abbé-Deschamps (avec ce retour au sein de l'élite arraché dimanche aux tirs au but, dans la cohue de Geoffroy-Guichard). Gérard Bourgoin, autre symbole du club et sponsor principal en tant que roi du poulet, est aspergé de champagne. Au cours de la saison, la première série déterminante dans le parcours de l'AJA a eu lieu à partir de la sixième journée. A ce moment-là, Auxerre n'était que 17eme avec quatre petits points. Le 26 août, la réception de Cannes donne lieu à un festival offensif (5-1, avec notamment un doublé de Laslandes) et enclenche une phase de cinq victoires consécutives : 4-0 au Havre, 1-0 contre Strasbourg puis à Lyon, et 2-1 devant Rennes.
Les Auxerrois ne réussiront plus un si bel enchaînement jusqu'à la fin du championnat, mais leur dernier coup d'accélérateur est tout aussi décisif avec six victoires et deux nuls de la 31eme à la 38eme journée. Et puis, bien sûr, au sein de cette dynamique folle, il y a la Coupe de France : victorieux en finale 2-1 contre Nîmes, la semaine précédente au Parc, ils valident ainsi un fantastique doublé. Alors que les Nîmois, pensionnaires de troisième division, avaient ouvert le score et fait trembler le leader de D1 en menant à la mi-temps avant d'encaisser le but décisif de Laslandes à la 88eme minute (2-1, après l'égalisation de Laurent Blanc en début de seconde période), les émotions sont donc d'autant plus démultipliées pour l'ensemble des Bourguignons.
Face à une si belle équipe, ce qu'on réalise peut-être encore plus a posteriori en revoyant la composition de cet effectif, on en oublierait presque que l'AJ Auxerre est un club qui est arrivé de quatrième division en 1970 jusqu'au plus haut niveau en 1981. Sous l'impulsion d'un homme, Guy Roux évidemment. Son président Jean-Claude Hamel, compagnon de toujours, ne peut que lui rendre hommage à chaud : "C'est une très grande joie, on a fait 33 ans ensemble avec lui, et tout arrive d'un seul coup. On le lui doit. J'ai du mal à réaliser." Dans l'histoire du football français, et même peut-être européen, aucun autre homme n'a jamais incarné de manière aussi profonde l'identité d'un club. Guy Roux ira encore chercher lui-même le ballon dans les tribunes la saison suivante, en quarts de finale de Ligue des champions, alors que le jeu était encore en cours face à Dortmund.