Aurélien Canot, Media365, publié le lundi 25 septembre 2023 à 14h55
En marge de la 7eme édition de la Meatlab Charal, une table ronde digitale annuel autour du sujet de l'alimentation et axée cette année à l'approche des Jeux Olympiques de Paris 2024 sur le sport, Jérémie Beyou, skipper de l'équipe Charal Sailing Team, a évoqué pour nous l'importance de cet aspect dans la voile. Surtout pour lui qui passe régulièrement de longs mois seul sur son bateau.
Jérémie Beyou, que pouvez-vous nous dire à propos du rôle de la nutrition/l'alimentation dans votre sport et en particulier lors des compétitions ?
Il y a d'abord toute la partie préparation. C'est un sport assez demandeur physiquement. Je ne suis pas un monstre, néanmoins, il faut quand même être bien en forme car les manœuvres sollicitent beaucoup. Les bateaux sont aussi très violents, il ne faut pas se blesser. Il faut une caisse musculaire et cardiaque importante. La préparation, c'est de la musculation et du vélo. La nutrition dans cette préparation doit être adaptée. Maintenant, c'est un sport d'expérience que je pratique depuis que j'ai 7 ou 8 ans et j'en ai 47 aujourd'hui. Si pendant 40 ans, tu es en train de faire des efforts dans tous les sens, conjugué au fait ne pas manger et ne pas se faire plaisir, ça ne fonctionne pas. Dans toute ma préparation, j'essaie de trouver du plaisir et notamment dans ce que je mange.
Concrètement une fois en mer, comment fonctionnez-vous sur ce plan ?
En mer, ça se complique un peu plus car forcément, tu ne peux pas aller faire des courses tous les soirs. Il faut aussi prévoir ce que tu peux manger. On n'a pas de frigo, donc on ne peut pas conserver les aliments, notamment le frais. Il faut beaucoup anticiper ce que tu vas amener. Il faut également anticiper par rapport au temps que tu vas passer en mer, aux efforts que tu vas devoir faire, au climat que tu vas rencontrer. Quand on fait un tour du monde, on passe sous l'Équateur et puis un mois après, on est dans la glace des mers du Sud, donc il faut que les aliments soient adaptés par rapport aux pertes caloriques qu'on peut subir, notamment quand il fait très froid. Et ça, tout en gardant du plaisir avec des aliments faciles à manger et que tu trouveras plaisir à ouvrir et à préparer. C'est un sport assez particulier de ce point de vue. Il faut de l'expérience et prévoir un maximum de choses.
La nutrition donne le sentiment de faire partie intégrante de votre vie, même sans la voile. Est-ce le cas ?
Je pense que c'est du bon sens. Quand tu vas faire ta séance de sport ou que tu pars en mer, tu sens que tu as besoin de manger un peu plus, parce que tu vas te dépenser... En fait, j'adapte ma nutrition par rapport à ma demande d'énergie nécessaire pour la suite. J'ai envie de me faire plaisir en mangeant. La compétition est déjà tellement difficile et longue... Chez nous, tu es trois mois en compétition. Pendant cette période, il faut arriver à garder le niveau d'intensité. Un match de football dure 90 minutes. Déjà au bout d'un certain temps, on peut voir parfois des petites sautes de concentration chez des joueurs. On voit aussi que certains ne sont pas toniques du début à la fin. Donc déjà gérer 90 minutes, ce n'est pas ça et alors trois mois, imaginez... C'est un vrai challenge. Il faut que tout ce qu'il y a autour te permette de tenir physiquement et mentalement. C'est pour ça que la notion de plaisir pour moi est primordiale.
Avez-vous toujours fait attention à ce que vous mangiez ? Que vous pratiquiez la voile, le vélo ou la course à pied ?
Non pas vraiment. J'ai 47 ans, j'ai commencé à faire du sport dans les années 80, je pense que cette préoccupation d'adapter sa nutrition au sport que l'on faisait ou à l'apparence qu'on voulait avoir, n'existait pas vraiment. On mangeait des plats traditionnels bretons... Je suis de Bretagne, donc je ne crachais pas sur un kouign-amann pour le sucre (rires) ou encore un couscous breton. Il y avait peut-être dans cette période-là moins de choix, moins de sollicitations notamment sucrées. Ça permettait juste en se faisant plaisir, de rester en forme et en se dépensant, de garder un poids normal. Mais non, je n'ai jamais vraiment fait attention. Ce sont des habitudes alimentaires que l'on garde toute sa vie.
Vous le disiez, il n'y a pas de frigo en mer. Nous vient forcément l'image du bateau toujours agité, de la météo imprévisible... Comment trouve-t-on le temps de faire à manger et comment fait-on à manger ?
J'ai juste un petit réchaud avec une bouilloire pour chauffer de l'eau. C'est le seul moyen de faire à manger. Il n'y a aucune plaque de cuisson, pas de frigo. Il n'y a pas de plan de travail pour découper les aliments. Tout est prévu en sachets déshydratés. Il n'y a plus qu'à verser l'eau bouillante et puis il faut attendre entre dix et vingt minutes suivant le plat pour manger. Ou alors, c'est un plat préparé stérilisé comme ce que l'on peut trouver chez Charal Sport (NDLR : Charal a dévoilé récemment une toute nouvelle gamme de plats de la catégorie). C'est pareil, il faut faire bouillir de l'eau, tu mets l'eau dans un caisson isotherme et tu mets le plat au bain-marie dedans. Après vingt minutes, c'est prêt à manger. Ça, c'est pour le repas on va dire et puis après, il y a des petits trucs en snacking, des choses simples comme des oléagineux, des fruits que l'on peut conserver pour certains quasiment trois semaines si on ne les prend pas trop mûrs. On peut avoir aussi certains fromages assez secs s'ils sont bien emballés comme la mimolette ou le parmesan. Autrement, il y a de petites conserves, comme les sardines, les viandes séchée, qui se conservent bien. Tout ça vient compléter cette base alimentaire que sont les aliments déshydratés et les plats préparés. Il y a enfin les petits plaisirs autour...
Beyou : "Parfois ton plat, tu le retrouves six heures plus tard, froid"
Dites-nous en davantage...
Sur mon premier Vendée Globe, j'avais embarqué deux tablettes de chocolat pour trois mois. Noir ? Non, au lait en plus (rires). À terre, je ne suis pas un grand fan de chocolat mais j'aime bien en manger un petit carré. Et là, je me suis dit que pour la période de Noël... En fait, j'ai commencé à taper dedans d'entrée et je me suis vite retrouvé en manque de chocolat. J'ai eu une grosse envie pendant toute la compétition. Certaines personnes mangent des bonbons, il y en a c'est le saucisson sec et d'autres, comme moi, c'est le chocolat. Il ne faut pas oublier ces petits aliments qui font plaisir et qui mentalement te font rappeler la terre, les proches, ou encore des moments particuliers. Je suis d'accord, ça peut paraitre assez loin du sport et de l'optimisation sportive mais la partie « stress » est prépondérante dans ce qu'on fait. La compétition est longue et il faut être capable de switcher parfois, et les aliments que tu as sous la main peuvent aider.
Vous arrivez-t-il souvent de préparer à manger et de devoir reporter votre repas ou de l'annuler en raison d'une tempête ou autre ?
Oui oui, ça arrive très régulièrement. En fait, tu essaies d'anticiper quand tu fais ta stratégie. Il faut savoir que l'on est autonome là-dessus. On va chercher la météo et on la rentre dans les logiciels de routage à bord. Dans la foulée, on va identifier la route pour les deux, trois ou quatre prochains jours qui viennent ainsi que les manœuvres qu'on va devoir faire et les corrections de trajectoire. Tu as aussi un petit roadbook avec toutes ces trajectoires et les manœuvres. C'est aussi très important d'identifier les moments où ça sera plus calme, où il n'y aura aucune manœuvre à faire, où le vent est stable. Il faut profiter de ces moments pour dormir, pour prendre soin de soi (se laver, se changer), appeler à terre, entretenir le bateau et surtout manger. Il faut essayer d'identifier ces moments. Après, la course et la météo décident... Souvent, si ce n'est pas la météo qui t'enquiquine, ce sont les concurrents à côté, car tu peux te rendre compte que tu n'as pas bien choisi ta stratégie et qu'à côté, certains vont à MAG 12 et qu'il faut changer d'options... Tu as commencé à préparer à manger, tu as un classement qui tombe et puis il faut changer d'options. Donc ton plat, tu le retrouves six heures plus tard, froid. Quand tu es en mer, il faut être hyper adaptable et même manger froid, car ça arrive la moitié du temps.
De la même façon, est-ce qu'il vous arrive parfois de devoir vous faire violence pour vous alimenter ?
C'est une super question. Un sac vide ne tient pas debout (sic). C'est bête à dire, hein... Il y a une grosse dépense énergétique, un gros stress dans un environnement où tu n'as pas du tout envie de manger. Soit il fait trop chaud, soit il fait trop froid, soit tu viens de faire un effort intense et tu n'as qu'une envie, c'est de vomir, sans oublier que ça bouge dans tous les sens. Les conditions ne sont jamais réunies pour manger. Il faut pour le coup avoir des aliments faciles à ingérer, comme des compléments alimentaires, des produits de l'effort, des barres protéinées, ou encore des barres céréalières, des pâtes de fruit, des petites compotes, des gels antioxydants... On a des trucs très adaptés, juste pour tenir. J'embarque aussi des substituts alimentaires dans des petites bouteilles que l'on donne aux malades qui ont du mal à avaler quoi que ce soit. Il faut être capable de tenir avec ça. Mais à un moment si on ne mange pas, c'est compliqué de tenir.
Comment fonctionnez-vous au niveau de votre partenariat avec Charal ? Leur faites-vous un feedback quand vous rentrez sur terre ? Et comment a débuté votre collaboration ?
Ça s'est vraiment fait comme ça, main dans la main. La gamme Charal Sport n'existait pas quand on a commencé le partenariat. J'en suis à l'origine avec Stéphanie Bérard-Gest, qui est la directrice marketing de la marque Charal. C'était un peu son idée de dire : on a un sportif et un bateau qui évoluent autour du monde et nous, nous sommes des spécialistes de l'alimentation et à bord, il n'y a pas nos produits. La question était de savoir comment faire pour amener les produits dans le bateau et de quoi j'avais besoin pour être performant. On a imaginé ces produits ensemble et après avec toute la partie Ramp;D, tous les développeurs et les cuisiniers chez Charal, ils ont concocté des produits.
Quel rôle avez-vous joué ou jouez-vous dans la réflexion autour de ces produits ?
Ils m'ont consulté sur le dimensionnement, en gros les quantités et le packaging, la taille des sachets, afin que je puisse les faire chauffer au bain-marie. Et ils m'ont également consulté sur les apports et les volumes caloriques. On a travaillé avec une nutritionniste qui connaît bien mon activité pour ajuster ça au mieux. Et enfin, j'ai goûté en exprimant ce que j'aimais ou pas. On a fait évoluer les produits de cette façon-là. C'est hyper intéressant de développer des produits comme ça, adaptés à notre sport, il n'y en a pas tant que ça. On vient plutôt piocher dans la randonnée, le vélo et le trail. Là, on a vraiment fait des produits adaptés à la voile et qui, en plus, sont à mes goûts. Il y a notamment une salade thaï que j'aime bien car j'aime les plats asiatiques. C'est quand même sympa de développer ça.
Beyou : "Les skippers qui sont sponsorisés par des banques ou des assurances, c'est sûr qu'ils sont moins bien servis"
Il y a vraiment la notion de plaisir pour le coup. On est loin de certains plats qui vous obligent à vous forcer...
Il y a tout en fait. Il y a du marketing parce que mon sponsor, c'est Charal et à bord, j'ai des produits Charal. Il y a un produit adapté avec les contraintes du bord où tu es capable de le préparer à bord. Ce sont des produits adaptés aux demandes alimentaires, physiques et nutritionnels ainsi qu'aux recommandations d'une nutritionniste. Et enfin, il y a des produits qui sont adaptés à mes goûts. C'est juste génial. Tout le monde s'y retrouve. Ça a été fait de façon transparente et collégiale. C'est vraiment une réussite et c'était un chouette projet à mettre en place.
Au-delà de vos résultats, diriez-vous que c'est le jour et la nuit depuis que vous avez ces produits sur le bateau ?Avant (que Charal ne lui concocte des plats), je trouvais divers produits à droite à gauche. J'aime beaucoup la viande et je suis très salé. En termes de conservation, ça n'a jamais été évident. Là, j'ai un produit clé en main, c'est juste génial. C'est une vraie belle expérience et j'espère que ce point de vue pourra servir dans d'autres sports comme la randonnée ou pour les croisières ou les gens qui partent en camping-car...
Pourriez prendre le départ d'une course avec les produits Charal uniquement ou ressentiriez-vous tout de même un manque ?
J'essaie de mixer car on a quand même une problématique de poids importante. Et c'est sûr qu'un plat préparé hydraté est plus lourd qu'un plat déshydraté. En sachant que nous, on fabrique notre propre eau. On vient prendre l'eau de mer et on la désalinise. On n'embarque pas d'eau douce. C'est sûr qu'emporter un plat déshydraté et le réhydrater à l'eau douce qu'on trouve autour, c'est mieux optimisé en termes de poids. Néanmoins, si j'enlève la notion de poids, oui je pourrais prendre uniquement des plats préparés Charal. Après, il faut aussi des fruits, du calcium... Mais oui, la base du repas pourrait être cent pour cent Charal.
Vous disiez tout à l'heure qu'à l'époque, vous preniez pas mal de plats en sauce. Est-ce que cela peut poser des problèmes sur le bateau ?
C'est vite écœurant en fait et je retrouve vite les mêmes goûts. Je ne suis pas très « sauce ». J'avais mes plats phares comme des pâtes carbonara - je ne me souviens plus de la marque - ou des Pasta Provence et je n'ai mangé que ça. Au bout d'un moment, tu t'écœures un peu de tout ça et il faut les digérer. Je préfère, même si cela prend un peu plus de temps, avoir des éléments déshydratés dans des Tupperware. Ma viande, c'est essentiellement du haché déshydraté, du poulet déshydraté. Pour ce qui est de mes légumes, j'aime bien les carottes et les brocolis, j'ajoute mes féculents et je mélange tout, avec un peu d'huile d'olive et du parmesan. Ou alors des conserves, des sardines, du thon. Je fais ma popote comme ça (sic). Je préfère ça qu'un plat tout en sauce.
Vous ne faites pas de jaloux quand vous montez à bord avec votre valise Charal ?
Un peu oui (rires). Ceux qui sont sponsorisés par des banques ou des assurances pour le coup, ils sont moins bien servis (rires). Au début, on me taquinait, puis Charal a eu la bonne idée, avant de commercialiser les plats, de les faire goûter aux autres skippers. Au final, ce ne sont donc pas uniquement mes goûts, il faut que ça plaise à tout le monde. On a fait goûter aux autres, l'accueil a été super bon et maintenant les plats sont commercialisés, et ils peuvent les acheter. J'ai eu l'exclusivité au début, maintenant je ne l'ai plus.