Aurélie Sacchelli, Media365, publié le jeudi 07 novembre 2024 à 15h31
Ce dimanche, Jérémie Beyou prendra le départ de son cinquième Vendée Globe, à la barre de Charal 2. Le skipper de 48 ans fait partie des favoris de cette dixième édition, mais il sait mieux que personne que cela n'est pas gage de victoire. Il s'est confié en exclusivité pour notre site.
Jérémie Beyou, à quelques jours du départ du Vendée Globe, comment jugez-vous votre préparation ?
Au niveau sportif, je pense que je suis là et que je suis capable de naviguer devant. Il y a eu trois courses majeures de préparation, les deux Transats et le Défi Azimut, et à chaque fois que je suis parvenu à terminer les courses, je suis monté sur le podium. Et quand ça casse, c'est impossible. Il y a eu une casse d'étai sur la Transat CIC, qui m'a obligé à abandonner. Après, il y a eu une belle Transat New York - Les Sables. Il y a eu un coup de poker en début de course où Boris (Herrmann) et Charlie (Dalin) ont réussi s'échapper, et je suis parvenu à sortir en tête du paquet de poursuivants. Je suis content de cette prestation- là, content de mon Défi Azimut aussi. Sportivement, ça va, le bateau va bien. Il faut qu'on arrive à gommer les petits soucis de fiabilité.
Ca vous inquiète ?
Non. Là, il y avait un défaut de dimensionnement sur une pièce, qu'on a réussi à identifier, on a tout re-re-revérifié. La saison est un peu scindée en deux. Au début on est sur la performance, c'était important de savoir où on en était avec notre nouvelle paire de foils. Et en deuxième partie de saison, après le chantier d'été, on est vraiment sur la fiabilité, on est focalisé dessus depuis le mois d'août. Sur la structure et les pièces mécaniques majeures du bateau, on n'a pas de soucis.
Quand on voit Romain Attanasio démâter deux mois avant le départ, on se dit qu'on doit toujours être sur le qui-vive ?
Ca m'est déjà arrivé. Sur mon deuxième Vendée Globe, j'avais démâté quelques semaines ou quelques mois avant le départ, ce n'était vraiment pas idéal. Il y a une vigilance de tous les instants quand on navigue avec ces bateaux-là. On peut ne pas faire le bon geste, la bonne action au bon moment pour limiter la puissance du bateau, et ça finit par casser. Ça fait un peu partie du jeu, de la course en solitaire, il faut essayer d'anticiper les choses, car si le bateau accélère alors qu'on ne l'avait pas prévu et qu'on est en train de dormir, il n'y a personne pour ralentir à notre place. Il faut être en vigilance extrême tout le temps, mais en même temps il faut se reposer pour garder de la lucidité.
Beyou : "Je suis dans le coup tout le temps, si ça ne casse pas"
Charal 2 est équipé d'une nouvelle paire de fois depuis cette année, en êtes-vous satisfait ?
Oui, vraiment. On avait pour objectif d'améliorer la performance dans les allures de portant (avec le vent venant de l'arrière, ndlr) essentiellement. Sur les mesures qu'on a pu récoltées, c'est vraiment concluant de ce côté-là. Ce qui est aussi important, c'est qu'on a réussi à mettre deux Transats et des milliers de milles dans les pattes de ces foils-là sans souci de fiabilité et de structure. Je voulais vraiment avoir cette nouvelle paire de foils en début de saison. Je suis content de mon calendrier, je suis content de ce qu'on a vu.
L'objectif de ce Vendée Globe 2024-24, c'est la victoire ?
Cela reste évidemment l'objectif majeur, c'est dans ce but-là que j'ai construit toute ma préparation avec mon équipe et Charal. Mais je suis le premier à savoir que ce n'est pas le tout de vouloir gagner et de pouvoir le faire. Avant de pouvoir gagner, il faut finir, ne pas faire demi-tour comme la dernière fois. Plein de scénarios peuvent arriver, j'en suis à mon cinquième Vendée, donc j'en ai vécu quelques uns (abandon en 2009 et 2013, troisième place en 2017, 13eme en 2021, ndlr). La concurrence ne fait qu'augmenter, et s'il y avait deux, trois favoris sur les précédentes éditions, il y a en a beaucoup plus aujourd'hui. Il y a des marins très solides, des équipes de plus en plus structurées.
Vous avez souvent fini sur le podium des courses ces dernières années, rarement vainqueur, y a-t-il une forme de frustration ?
Non, cela me donne encore plus envie de finir tout en haut cette fois-ci. Ce que je retiens, c'est la régularité. J'ai déjà gagné des courses dans le passé, notamment en Imoca, et avec ce bateau-là. Je sais que je suis dans le coup tout le temps, si ça ne casse pas, et c'est ce qu'il faut retenir pour le Vendée. Ce qui est important, c'est d'être capable de naviguer dans le paquet de tête et saisir les opportunités qui peuvent permettre de faire la différence. Considérer qu'il faut partir seul en tête, « full gas », et pousser, pousser, ce serait peut-être une erreur. Je sais que je suis capable de gagner cette course-là.
Lors de la dernière édition, vous avez dû faire demi-tour après quatre jours de course, réparer puis repartir et terminer treizième, qu'avez-vous appris de cette expérience ?
J'ai encore appris, si j'en avais besoin, que le statut de favori n'apporte pas de points ni de milles d'avance, ni de garantie de ne pas casser. Je savais, après mes deux premières participations, que la course pouvait s'arrêter. Il faut faire preuve de philosophie sur cette course-là. Il faut être capable de gérer les événements sans qu'ils nous marquent à vie, il faut être capable de repartir tout de suite. Cette treizième place n'était évidemment pas le résultat escompté, mais il y a un tour du monde qui a été bouclé, ce n'est pas anodin, et j'ai réussi à en trouver de la fierté. Ca m'a donné de l'expérience en plus sur ces grands foilers, dans le Grand Sud notamment, et ça nous a permis de mieux cibler le design de Charal 2, qui est un bateau beaucoup mieux adapté à ce parcours-là que Charal 1.
Beyou : "Le Vendée Globe, c'est un mythe pour moi"
Quarante bateaux seront au départ du Vendée Globe, n'est pas trop ?
Ce n'est pas moi qui décide (sourires), c'est une décision qui est propre à l'organisateur. Le mode de qualification impose aux gens de beaucoup naviguer. Il y a 40 places disponibles. C'est une qualification en milles. Si on participe et qu'on finit les courses, on est qualifié, il n'y a pas vraiment de notion de résultats et de classement. Si j'avais mon mot à dire, c'est peut-être un critère que je rajouterais. Le niveau de la flotte est vraiment exceptionnel, et dans les 10-15-20 premiers, ça bataille vraiment fort. Mais entre le groupe de tête et la fin de la flotte, il y a vraiment un monde en termes de performance. Est-ce que c'est bien qu'il y ait un tel gouffre, je ne sais pas. Les courses sont plus sympas quand le niveau est plus homogène et quand chacun a un peu ses chances.
Que représente le Vendée Globe pour vous ?
Pour moi, c'est un mythe. Et comme c'était de l'ordre de la mythologie, je me sentais incapable de réaliser ce genre de truc. Les bateaux étaient fantastiques, je me souviens de feuilleter le magazine « Voiles et voiliers » avec les photos des bateaux. Voir des ordinateurs dans des bateaux de course, c'était exceptionnel. Je me souviens que le siège de la table à cartes de Philippe Jeantot, c'était un siège de pilote d'avion de chasse. Ces bateaux étaient très larges, ils me faisaient rêver. Et les marins, c'était des légendes. Jeantot, Philippe Poupon, qui reste un dieu pour moi, Loïck (Peyron), Alain Gautier... C'était de l'ordre de l'infaisable pour moi. Et petit à petit, j'ai grandi avec cette course-là, je me suis déplacé sur les départs, et j'ai eu la chance de vivre de près la victoire de Vincent Riou en 2004-05 car j'avais fait toute la saison en double avec lui auparavant. Le fait que Vincent gagne, que j'ai navigué sur ce bateau, je me suis dit que peut-être que je serais capable de le faire. Derrière, j'ai gagné la Solitaire du Figaro (en 2005, ndlr), et quand la question s'est posée de ce que j'allais faire après, ma réponse, spontanément, a été « je veux faire le Vendée Globe ». Cette course, qui était très loin de moi au tout début, est devenue l'histoire de ma vie depuis vingt ans, avec cette cinquième participation. C'est devenu la course ultime.
Pensez-vous que le record de 74 jours, détenu par Armel Le Cléac'h depuis 2017, puisse être battu lors de cette édition ?
Oui, je pense qu'il peut être largement battu. Si on a des conditions météo égales à celles de 2016-17, le record sera explosé. C'est vraiment une question de conditions météo. La zone de glaces sera la même que lors de la précédente édition, donc c'est la même route théorique. Sur les phénomènes météo, on constate qu'il y a un peu plus d'instabilité, peut-être un peu plus de grains, ce ne sont pas des choses qui aident à notre progression. Mais la performance des bateaux a considérablement augmenté en huit ans, ainsi que notre capacité à mener les bateaux proches de leur plein potentiel.
Crédit photo : Polaryse / Charal