Mathieu WARNIER, Media365, publié le lundi 18 avril 2022 à 15h10
S'il ne cache pas une certaine frustration quant à l'absence d'une course à Paris au calendrier, Jean-Eric Vergne s'est confié à l'occasion d'une table ronde sur l'évolution de la Formule E, mais également sur les perspectives liées à l'arrivée d'une nouvelle monoplace en 2023.
Jean-Eric Vergne, vous avez connu les changements dont la Formule E a fait l'objet ces dernières années. Avez-vous senti une évolution concernant l'image et l'engouement autour de la discipline, notamment en France ?
J'ai connu les débuts de la Formule E, l'engouement et l'intérêt que portait énormément de monde. On va dire que le championnat a décollé extrêmement rapidement et je pense que c'était compliqué de maintenir une courbe de progression telle qu'elle était. Il fallait que le championnat se pose pour aller plus surement vers l'avenir. Je pense que ça s'est un peu calmé pendant les deux ou trois dernières années. Les années marquées par le coronavirus ont été difficiles pour la Formule E. Je pense qu'ils ont eu plus de mal que la Formule 1 à prendre ce virage mais je pense que les nouvelles équipes qui ont été mises en place ont commencé à travailler sur une nouvelle direction. Elle va commencer à porter ses fruits dans un futur très proche et, principalement, avec l'arrivée de la Gen3. L'engouement va continuer à grandir.
Comment le regard des gens a-t-il évolué vis-à-vis de la Formule E ? Est-ce que les avis sont un plus précis et experts ou bien navigue-t-on encore dans quelque chose d'un peu obscur pour les gens ?
J'étais assez surpris qu'assez tôt, énormément de personnes avaient entendu parler de la Formule E, même des gens qui ne connaissent pas le sport automobile. Je ne sais pas comment ils ont fait pour arriver à ça mais j'étais toujours plutôt impressionné par rapport au fait que beaucoup de personnes connaissent la discipline. Je ne sais pas si tout le monde la regarde, je ne pense pas. En revanche, beaucoup connaissent l'existence de ce championnat de monoplaces électriques. Après, dans le monde du sport auto, la Formule E n'était pas reçue super bien au tout début. Tout le monde s'attendait à ce que le championnat disparaisse au bout d'un an. La deuxième année, on disait qu'on allait voir et que ça allait disparaître. La troisième année, on nous disait que ça allait être la dernière et que ça allait s'essouffler. Après la quatrième année, beaucoup de constructeurs ont commencé à arriver. Mercedes et Porsche ont signé, BMW est arrivé et je pense que plus personne commençait à dire que la Formule E allait disparaître. Tous les gens qui disaient cela veulent désormais venir, que ce soit les ingénieurs ou les pilotes. Je trouve ce revirement de situation plutôt amusant.
Est-ce que, en tant que pilote, vous avez vu une évolution dans le rapport avec les annonceurs, avec des partenaires nouveaux qui sont arrivés ?
J'ai plus de sponsors en Formule E que j'en avais en Formule 1. J'ai une marque de montres qui se serait difficilement associée à moi en F1. J'ai un habilleur et je pense que je ne les aurais jamais eus si je n'avais pas été en Formule E et si le championnat n'avait pas été dans cette santé.
Vergne : « A Paris, il y a une maire qui est anti-voiture »
Pourquoi cela ? Est-ce lié à une image différente entre les deux disciplines ?
C'est certain qu'il y a une image différente. Il y a le fait qu'en F1, j'étais un peu là pour garnir le plateau. Là, je suis présent pour gagner des courses et me battre pour des championnats. Ça change énormément en termes d'image et vis-à-vis de ce que vous véhiculez. Il y a cette image de développement durable, d'écologie, d'éco-responsabilité que je n'avais absolument pas en F1, que je n'avais pas non plus à mon arrivée en Formule E mais que j'ai appris à avoir au fil des années dans la discipline et en comprenant quelle était la réelle force de la discipline. C'est évidemment un spectacle télévisé, un spectacle dans lequel nous allons vers les spectateurs. C'est aussi un message énorme pour les centres-villes. On roule en voiture électrique donc n'importe qui peut rouler en véhicules électriques dans leur ville pour limiter la pollution et essayer de diminuer le nombre de voitures à essence qui existe aujourd'hui dans les villes.
Est-ce que vous ressentez qu'il n'y a plus un débat pour ou contre la pollution pour les centres-villes mais plutôt pour ou contre le sport automobile, la vitesse ? Est-ce que vous ressentez-toujours ce frein concernant les circuits en centre-ville, notamment concernant Paris ?
Je pense qu'il ne faut pas oublier qu'à Paris, il y a une maire qui est anti-voiture. Je pense que c'est assez clair. Pourtant, c'est cette même maire qui a poussé à avoir la Formule E dans les rues de Paris. Pour une maire, c'est quand même un argument assez fort en politique de dire qu'elle n'aime pas l'automobile, de pousser les Parisiens à rouler en vélo, à prendre le métro ou le bus, tout sauf la voiture. Le fait qu'elle fasse fermer les rues du VIIeme Arrondissement pour faire une course de sport automobile, mais électrique, ça veut quand même en dire énormément. Je ne connais pas les raisons exactes pour lesquelles nous ne roulons plus à Paris. Je pense que ça n'a rien de politique. Je pense que les Parisiens, à leur habitude, dès qu'on fait quelque chose qui sort un peu du commun et que, pour une matinée, ils ne peuvent pas prendre leur voiture, ça les ennuie donc ils gueulent. Malheureusement, c'est très Français de gueuler pour tout. Je pense que c'est une des raisons pour laquelle on ne roule plus à Paris. C'est bien dommage car c'est une course extraordinaire. Il y avait énormément de personnes qui venaient. Je sais également que, du point de vue des pilotes, la piste commençait à devenir un peu petite pour le nombre de monoplaces qui roulent aujourd'hui. Je ne sais pas si c'est possible d'un peu agrandir le circuit.
Entre Monaco et la fin de la saison, il y onze courses en quinze semaines. En plus, il y a la préparation de la monoplace Gen3. Votre écurie et vous, comment vous organisez-vous pour tout mener de front ?
Vous oubliez quelque chose, je fais de l'endurance avec Peugeot. On a aussi tous les tests avec la 9X8. On a tout le développement de la Gen3, tout le développement de la 9X8, on a les courses, le travail au simulateur. C'est compliqué mais on fait avec. On a la chance de faire un métier extraordinaire. Je roule dans des belles voitures, dans des championnats de prestige, dans deux championnats du monde. Je pense que personne n'a à se plaindre de trop travailler dans ces cas-là. Je pense que, parfois, ça va être un peu compliqué physiquement, mentalement, à gérer la pression en fin d'année quand les championnats vont se jouer. C'est certain que ça va être dur mais je l'ai déjà fait. Les deux titres que j'ai gagné, je faisais un double programme donc j'avais énormément de choses à faire. A la limite, ce n'est pas plus mal parce que ça permet de ne pas trop cogiter, juste de foncer, d'y aller et, surtout, de s'amuser. On en oublie parfois le plaisir quand il y a trop de pression et, malheureusement, c'est quand ça commence à coincer. Il ne faut pas oublier de s'amuser, de rigoler derrière le volant et essayer d'être le meilleur. C'est certain qu'il n'y a pas une journée durant laquelle je vais pouvoir voir ma femme au mois de juillet, c'est comme ça. Elle est au courant, ça va.
Vergne : « On va se faire vraiment peur en qualifications »
Est-ce qu'il y a des premiers retours venant du pilote essayeur Benoît Tréluyer concernant la Gen3 au niveau des sensations de pilotage de cette nouvelle génération de monoplaces ?
Je n'ai pas trop discuté avec lui de ses essais avec la Gen3 donc c'est compliqué de dire quoi que ce soit. Je n'ai pas vu la voiture rouler, je ne connais pas exactement ce qu'il va y avoir comme technologies embarquées dans la voiture. Je sais juste qu'on va avoir plus de puissance. On va avoir une voiture plus légère car la batterie sera plus petite. C'est pour cela qu'on gagne en poids. Vous me dites qu'on ajoute 100kW, qu'on enlève du poids, qu'on change les pneus que je ne connais absolument pas. Je pense qu'on va avoir moins d'adhérence avec ce qu'on aura l'an prochain. On va se faire vraiment peur en qualifications. Déjà qu'aujourd'hui, on se fait un peu peur sur certains circuits à 250kW... On va dire que j'avais moins peur sur certains tours de qualifications en Formule 1 alors qu'on a pratiquement 1000 chevaux. Etant donné les circuits sur lesquels on va rouler en Formule E, extrêmement bosselés, étroits, avec des changements de tarmac dans tous les sens, des plaques d'égout à droite à gauche, des murs dans tous les sens, je peux vous dire que ça peut vraiment faire peur parfois. C'est pour cela que je suis pressé de rouler dans la Gen3 mais pas pressé de faire la première séance de qualifications dedans.
Est-ce que le fait de devenir champion du monde cette année changerait quelque chose par rapport à vos anciens titres ?
Ça ne change pas grand chose pour moi même si ça changerait énormément d'avoir un troisième titre, c'est une certitude. Je me suis fait engueuler deux ou trois fois par la FIA parce qu'on utilisait le terme « champion du monde » et, à l'époque, ce n'était pas un championnat du monde officiel de la FIA. Il fallait que les équipes paient un droit d'entrée supplémentaire pour pouvoir l'appeler « championnat du monde ». Sauf que, une fois, je me suis fait engueuler et puis, la semaine d'avant, j'avais reçu une lettre d'Emmanuel Macron me félicitant pour mon titre de champion du monde. Je leur ai dit que, là, ce n'était pas de ma faute. Ça ne change strictement rien. Les gens savent que c'était exactement le même championnat qu'à l'époque qu'il ne l'est aujourd'hui, si ce n'est les commentateurs qui disent deux fois champion de Formule E. Si jamais je gagne le titre cette année, ils ne vont pas dire deux fois champion de Formule E et une fois champion du monde. Ils diront trois fois champion du monde et ça sera plus simple. Rien que pour ça, je vais essayer de l'avoir.
Que faudrait-il faire pour que plus de monde regarde la Formule E ?
Je pense que c'est à la Formule E de faire un meilleur travail ! Je pense qu'ils ont fait un film sur la saison 4 qu'ils ont sorti deux ans après et que personne a regardé. Je pense que ça n'était pas normal, c'était très mal géré. Je pense qu'ils peuvent faire plus de ce point de vue-là. J'ai un point de vue assez dur sur cette question. Ce n'est jamais assez, il y a toujours trop d'excuses et qu'il peuvent faire mieux. Je vois une différence sur le traitement en France. Le travail de retransmission a bien été amélioré. Je vois beaucoup plus de personnes avec des caméras dans le paddock de la Formule E, un peu comme en F1 et ça ne va que dans le bon sens.