Emmanuel LANGELLIER, Media365 : publié le jeudi 23 septembre 2021 à 13h13
Dans l'attente depuis 1932, l'équipe de France remportait enfin la Coupe Davis en 1991. Portés par leur capitaine Yannick Noah, Henri Leconte et Guy Forget prenaient le meilleur sur les Etats-Unis d'Andre Agassi et Pete Sampras.
Le 1er décembre 1991, la France vit un grand moment de sport. Un très grand moment. Cinquante-neuf ans précisément qu'elle attendait ça ! Les Mousquetaires de 1932 ont enfin déniché leurs successeurs. Jean Borotra, Henri Cochet et Jacques Brugnon (plus Christian Boussus qui n'avait pas joué du tout) avaient alors maté les Etats-Unis (3-2) d'Ellsworth Vines, Wilmer L. Alisson et John Van Ryn, fin juillet à Roland-Garros, et remporté une sixième Coupe Davis consécutive. Battue ensuite en finale l'année suivante (2-3 face au Royaume-Uni) puis en 1982 (1-4 face aux Etats-Unis à Grenoble), l'équipe française décroche son septième Saladier d'argent un dimanche après-midi au Palais des sports de Lyon.
Les nouveaux héros s'appellent Guy Forget et Henri Leconte. Les deux comparses ont à eux seuls renversé les Américains emmenés par Andre Agassi, Pete Sampras et la redoutable paire de double Ken Flach-Robert Seguso. Un exploit majuscule tant les Français étaient très loin d'avoir les faveurs des pronostics avant cette finale de Coupe Davis semblant promise aux favoris de l'Oncle Sam. A la barre des Bleus, Yannick Noah a su insuffler un état d'esprit conquérant à sa troupe qui s'est dépassée comme peu auraient pu l'imaginer. Tombé sur le terrain devant les mêmes Américains en 1982, Captain' Noah tient sa revanche.
Agassi domine Forget et douche les espoirs français
Neuf ans plus tôt, Leconte était également de la partie. Après la défaite de Noah face à John McEnroe en cinq sets, « Riton » avait subi la loi de Gene Mayer (quatre manches) et n'avait rien pu faire au côté de son compère devant le meilleur duo du monde formé par « Big Mac » et Peter Fleming (revers sec en trois sets). Sévère défaite au final (1-4) pour les hommes de Jean-Paul Loth face aux Etats-Unis qui paraissent encore lancés vers un nouveau sacre pour clôturer la saison 1991 après le premier match à Lyon.
Andre Agassi apporte le premier point en dominant Guy Forget. Absent en début de campagne, la star de l'équipe US s'est montrée décisive en demi-finales en remportant le match de la qualification contre l'Allemagne de Michael Stich, lauréat quelques mois plus tôt de Wimbledon. Le « Kid de Las Vegas » concède pourtant le premier set au jeu décisif (7-6, 7 points à 3 pour Forget) mais il se reprend très vite et se balade dans les trois opus suivants (6-2, 6-1, 6-2). Déjà minces, les espoirs tricolores sont douchés.
L'incroyable pari Leconte
Tenante du titre, l'équipe américaine lance alors un « petit nouveau », Pete Sampras, qui effectue sa première apparition en Coupe Davis. Le prodige de 20 ans a éclaté à la face du monde entier l'année précédente en remportant l'US Open. Fin 91, il est sixième mondial et sa victoire lors du Masters de Francfort quelques jours plus tôt lui permet d'être choisi aux dépens de Jim Courier qu'il a précisément dominé en finale du tournoi des Maîtres en quatre sets. Sampras est l'homme en forme de cette fin d'année.
En face, Noah, nommé capitaine au début de l'année, tente un incroyable pari. Celui qui joue encore un peu sur le circuit fait confiance à son ami Leconte, tombé au 159eme rang du classement ATP. Victime quelques semaines auparavant d'une blessure au dos qui a nécessité opération et rééducation, le finaliste de Roland-Garros en 1988 (défaite contre Mats Wilander) a été remis sur pied et affiche un niveau de jeu stupéfiant. Impressionnant aux entraînements, Leconte va le reproduire sur la surface dure indoor de Lyon.
Le gaucher au bras magique sort le match de sa carrière face au futur numéro un mondial et lauréat de quatorze tournois du Grand Chelem. Déchainé, Leconte surclasse Sampras pour qui le costume est trop grand ce vendredi 29 novembre. Offensif et inspiré au filet, le Français inflige à « Pistol Pete » une défaite en trois manches (6-4, 7-5, 6-4) avec des coups plus tonitruants les uns que les autres. Survolté dans une ambiance de corrida, « Riton » saute de joie ainsi que dans les bras de Noah derrière la balle de match. « Je me sentais invincible », confiera-t-il. La France recolle et garde ses chances intactes (1-1) au soir du premier jour.
Forget en confiance contre Sampras
Comme très souvent en Coupe Davis, le double va être décisif. Opposé à Flach et Seguso qui forment une paire référence à l'époque, Leconte et Forget signent un match solide le samedi. Sur la lancée de la veille, Leconte inspire son coéquipier devant une assistance rhodanienne en effervescence. Les Bleus l'emportent en quatre manches (6-1, 6-4, 4-6, 6-2) face aux numéros un mondiaux et font basculer la finale en leur faveur. Et le 1er décembre arrive. Forget défie Sampras pour le sacre tant attendu.
Septième au classement ATP, le futur directeur de Roland-Garros se situe un rang derrière l'Américain qu'il a battu quinze jours auparavant en finale du tournoi de Paris-Bercy. Forget, qui a également dominé Sampras durant l'été en finale à Cincinnati, s'avance en confiance mais avec une énorme pression devant les 8300 spectateurs chauffés à blanc. L'issue du premier set est la même que dans la salle parisienne. Le natif de Casablanca emporte la décision au jeu décisif (7-6, 8 points à 6). Puis, comme dans la capitale, Sampras revient (6-3).
Une fête au son de « Saga Africa »
Rasséréné par Noah qui lui transmet son calme mais aussi sa rage de vaincre, Forget retrouve ses esprits et de la solidité. Les mots du charismatique capitaine, qui a fait la tournée des bars la nuit précédente pour décompresser et aller à la rencontre des supporters, portent leurs fruits. Performant au service, dans ses attaques et ses passings, il glane le troisième set (6-3), fait le break dans le quatrième et vient le moment fatidique de servir pour la victoire. Le public est en liesse et continue de pousser plus que jamais les Tricolores.
Forget empêche Sampras de recoller à 5-5 sur un magnifique passing-shot de revers puis claque un ace. Balle de match, Noah trépigne, tout le clan français croise les doigts comme les millions de téléspectateurs. Le gaucher sert une autre première balle que remet l'Américain et croise sa volée de revers. Son adversaire parvient à la remettre on ne sait comment mais Forget, qui ne quitte pas la balle des yeux, assure un dernier coup droit libérateur près du filet. C'est gagné (score final 3-1, Leconte et Agassi ne disputeront pas l'ultime match) ! Forget s'effondre sur le court orange, Noah bondit magistralement au-dessus du filet pour le relever et l'enlacer. Leconte éclate en sanglots comme un gamin avant de faire un tour d'honneur avec Forget et un drapeau tricolore à la main. Dans l'attente depuis 1932, la France décroche enfin un nouveau Saladier d'argent à la saveur incomparable. Sur le son de « Saga Africa » entonné par Noah, la fête est prodigieuse sur le court en compagnie d'Olivier Delaitre, Fabrice Santoro et Arnaud Boetsch qui ont participé à la campagne victorieuse durant la saison. « J'avais déjà vu une ambiance comme celle-là. Dans mes rêves », commentera Noah.