Aurélie Sacchelli, Media365, publié le mercredi 25 octobre 2023 à 19h42
Alors que la Transat Jacques Vabre partira ce dimanche du Havre, Jérémie Beyou, skipper de Charal 2, qui fera équipe avec Franck Cammas, nous raconte les spécificités de la navigation en double.
Jérémie Beyou, racontez-nous la genèse de votre association avec Franck Cammas...
Ça fait quelques temps qu'on collabore ensemble. J'ai intégré Franck à l'équipe dès la conception de Charal 2, en 2020, un peu avant le Vendée Globe, quand on a sélectionné l'architecte. Il a fait partie intégrante de la réflexion pour le design du bateau. Il a fait toute la mise au point du bateau aussi. Ça paraissait logique de lui proposer de faire la Jacques Vabre, il a accepté.
Vous êtes de la même génération, vous vous connaissiez bien avant de travailler ensemble ?
Oui, on se connaissait bien. On a navigué l'un contre l'autre en Figaro. Il est un petit peu plus âgé que moi, donc quand il a gagné sa première Solitaire du Figaro (en 1997), moi je faisais mon premier Figaro. On a également navigué ensemble sur des régates en équipage, sur la Volvo Race. On se connait bien, on a la même cellule d'entraînement à Port-la-Forêt. On a à peu près la même formation, la même façon de voir les choses.
Vous êtes officiellement le skipper de Charal 2, et Franck Cammas le co-skipper, cela signifie que c'est vous qui avez le dernier mot en cas de décision importante ?
Ça veut dire que c'est mon projet, que c'est le bateau avec lequel je vais faire le Vendée Globe, c'est mon équipe. Les décisions, au bout d'un moment, et les résultats, c'est à moi de les actionner. Après, la discussion en mer, elle est partagée. On débat, on a notre expérience tous les deux. Je ne suis pas là pour dire « c'est moi le chef et c'est moi qui tranche ». Mais effectivement, s'il y a des situations un petit peu grises, ou des situations qui nécessitent de prendre des décisions pour la sécurité ou l'intérêt global du projet, c'est à moi de les prendre. La répartition est bien connue, mais l'échange est hyper sain. On est à égalité sur le bateau. La confrontation des expériences est riche, il ne faut pas s'en priver.
Beyou : "Les discussions sont assez directes"
Le fait que ce soit Franck Cammas, qui n'est pas n'importe qui dans le monde de la voile, n'est-il pas trop difficile à gérer lorsqu'il s'agit « d'imposer » un choix ?
De par notre expérience, on est capable d'entendre que quelqu'un d'autre peut avoir raison. Il faut être ouvert par rapport à ça. Notre sport, ce n'est jamais deux fois pareil, il faut penser à tout et on est forcément plus intelligents à deux que tout seul. Les discussions sont assez directes, et ce n'est pas parce que c'est Franck... On sait que c'est la discussion qui apporte des solutions et que les solutions ne sont pas toujours là où on les attend.
Sur le bateau, les tâches sont-elles réparties entre vous ?
On fait tout ensemble. Sur les manœuvres, les postes sont bien prédéfinis. Il faut profiter des deux paires de mains, donc il y a une répartition qui est très claire, même si on peut switcher s'il y en a un qui est blessé ou fatigué. C'est plutôt moi qui vais à l'avant du bateau et Franck à l'arrière. On est complètement interchangeables. Après, dans toute la partie stratégie, c'est celui qui est de quart qui va aller chercher la météo, qui va commencer sa réflexion, mais après, la prise de décision se fait à deux. En revanche, à terre, c'est moi qui ai en charge la gestion de l'équipe. Du coup, Franck peut se consacrer un peu plus à la performance que moi-même.
Comment se passe la gestion du sommeil à deux ?
C'est assez naturel. On n'a pas d'horaires prédéfinis. On commence à bien se connaitre tous les deux. On est aussi à l'aise et assez grands pour être capable de dire « là, je suis fatigué, il faut que j'aille dormir ». C'est beaucoup mieux comme ça, car quand on met des horaires, tu n'es pas forcément fatigué au moment où c'est à toi de dormir.
Et comment cela se passe-t-il pour la nourriture ?
Chacun fait son propre ravitaillement. On a la chance d'avoir des plats qui sont développés par notre partenaire Charal, on a du sur-mesure sur les plats préparés. Là-dessus, ça fonctionne bien, c'est important.
Beyou : "On progresse, c'est ça qui est encourageant"
La promiscuité dans le bateau n'est-elle pas trop difficile à gérer ?
On a l'habitude. Et en double c'est quand même beaucoup plus facile qu'en équipage. On a tous les deux fait des tours du monde où on était dix sur le bateau, et là ça peut être compliqué. En double, ce n'est vraiment pas un problème.
Vous avez remporté le Défi Azimut il y a un mois, devant les duos Charlie Dalin-Pascal Bidégorry (Macif-Santé Prévoyance) et Sam Goodchild-Thomas Ruyant (For The Planet), vous considérez-vous comme favoris de la Transat Jacques Vabre ?
La dernière course s'est vraiment bien déroulée. Au-delà de la première place, on a vraiment élevé notre niveau de jeu, on a trouvé nos repères. On progresse, c'est ça qui est encourageant pour la Jacques Vabre. Ça nous donne beaucoup d'ambitions. Il y a eu trois courses de préparation, avec trois vainqueurs différents (Thomas Ruyant et Morgan Lagravière, sur For People, ont remporté la Guyader Bermudes 1000 Race et Charlie Dalin et Pascal Bidégorry, sur Macif, la Rolex Fastnet). Cinq bateaux sortent du lot (Dalin et Bidégorry ont depuis déclaré forfait, ndlr), dire lequel va gagner, ce n'est pas si simple. En tout cas, ce qu'on voit c'est qu'on est devant, qu'on peut prétendre à la victoire, c'est déjà énorme. Mais la concurrence est rude donc il ne va vraiment pas falloir s'endormir si on veut finir devant.
Tous les voyants semblent au vert en tout cas...
On a un bon bateau, qu'on continue de comprendre à chaque sortie, qu'on continue de faire progresser. On a une super équipe qui nous suit à fond derrière. Dès qu'on demande une modification ou un petit perfectionnement sur le bateau, ils sont là. On a énormément navigué, on n'a pas eu de problèmes majeurs sur le bateau, on n'a jamais dû stopper nos navigations d'entrainement pour résoudre un problème technique. On a un équipage qui a de l'allure. C'est vrai que tout le monde nous parle de nos palmarès (Franck Cammas a gagné quatre Transats Jacques Vabre, Jérémie Beyou une, ndlr). L'addition de nos compétences à tous les deux commence à bien fonctionner. Il faut y croire.
Crédit photo : Maxime Mergalet - Charal