Aurélien CANOT, Media365, publié le jeudi 10 novembre 2022 à 15h38
Depuis 2010, Stéphane Matheu (49 ans) veille sur la destinée de la Team Winamax Pro. Devenu coach, en premier lieu mental, de la meilleure équipe de poker en Europe, l'immense Francilien était pourtant promis lors de ses jeunes années à un avenir royal sur les courts de tennis. Retour sur une trajectoire aussi inattendue que fascinante.
Tout est parti d'un coup de fil. Plus exactement d'un pari. Le pari, finalement annulé, n'a jamais été relevé. Stéphane Matheu (49 ans) n'a donc pas eu à découvrir le tennis à cloche-pied. "Dès que l'échange débutait, je devais me mettre sur une jambe." Ce n'était pourtant pas faute de s'être entraîné. "Pendant trois mois". En revanche, il a fait ce jour-là une rencontre qui a changé sa vie. Et l'ancien grand espoir du tennis mondial chez les juniors de basculer vers un tout autre monde : le poker. Une rencontre que cet enfant de la petite balle jaune doit à un certain Gus Hansen, champion de poker danois passé lui aussi par le tennis avant de briller sur les tables. Dix-sept ans plus tard, Matheu, devenu le coach mental de l'une des meilleures équipes de poker au monde (le Team Pro Winamax), arrive encore à peine à croire à ce que le destin lui avait réservé lors de cet été 2005 du côté de Las Vegas. "Gus m'a fait découvrir l'univers du poker. Je n'y connaissais rien, pas même les règles, je ne savais même pas qu'il existait des joueurs professionnels. Quand il m'a dit qu'il était pro, je me demandais d'ailleurs de quelle discipline il parlait". Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq, l'ex-futur grand du tennis qui l'est toujours par la taille sera vite mis au parfum. "Un soir, Gus m'a proposé d'aller voir une partie de cash game (NDLR : partie de poker jouée avec des jetons correspondant à de l'argent réel et autorisant les participants à entrer et sortir de la partie comme ils le souhaitent). Nous sommes partis tous les deux au Bellagio. J'ai vu la plus grosse partie du monde. Il y avait toutes les superstars du poker de l'époque. Je ne connaissais personne mais c'était impressionnant."
Lors de sa "première carrière", il occupe la 286eme place mondiale
L'étudiant frenchy de 35 ans est piqué. Le tennis ? Il n'y pense plus depuis quelques années déjà, faute de ne pas avoir touché la motivation au flop. Puis les cartes de l'immobilier en main, il préfère se coucher plutôt que de chercher à voir et croise de nouveau le poker sur sa route. Coach (déjà) mais sportif uniquement sur une émission de télé-réalité axée sur sa nouvelle passion, il fait la connaissance de Bertrand Grospellier, alias ElkY, première star française du poker, et l'accompagne sur le circuit professionnel. "C'était incroyable. Il a gagné cinq millions la première année en tournois." Le tandem affole les compteurs et ne passe pas inaperçu. Winamax approche l'ancien tennisman, il hésite, puis cède. Nous sommes en 2010. "C'était très dur d'arrêter de travailler avec Bertrand car j'ai adoré bosser avec lui, ça marchait bien et c'était une belle expérience de vie. Je me suis aussi dit que c'était l'occasion de voir si, ce que j'avais fait avec lui, était juste de la chance ou quelque chose que je pourrais reproduire à une échelle plus grande", confie néanmoins celui qui avait grimpé jusqu'à la 286eme place du classement ATP au plus fort de ce qu'il appelle sa "première carrière".
Sparring partner de Sampras, des matchs contre Federer et Roddick...
Numéro 1 français chez les cadets, référence européenne chez les juniors, "Steph" a préféré prendre une autre trajectoire dès lors qu'il a saisi qu'il ne serait pas "un grand champion", freiné notamment par une grave blessure à un genou. Lorsqu'il se contente, à 27 ans, de devenir "le meilleur joueur de Las Vegas derrière Andre Agassi" et de coacher les équipes de "Sin City" - "pour payer (ses) études" - il laisse néanmoins derrière lui trois participations (en qualifications) à des tournois du Grand Chelem ou des séances d'entraînement contre des monstres de ce sport. "J'ai eu la chance de croiser les plus grands sur le circuit. J'ai été le sparring-partner de Pete Sampras à la fin de sa carrière, j'ai joué contre Roger Federer avant qu'il ne passe professionnel. J'ai aussi disputé un match contre Andy Roddick..." A l'époque, il n'a manqué qu'une chose à l'actuel chaperon de cette Team Winamax qui compte notamment parmi ses rangs le champion du monde Romain Lewis, le rappeur légendaire Kool Shen ou le génie belge Davidi Kitai : pouvoir bénéficier d'un coach mental aussi précieux qu'il ne l'est devenu lui-même aujourd'hui.
Il se rêvait en Guy Forget, il est devenu... Toni Nadal
"Je me suis posé beaucoup de questions notamment sur pourquoi je n'ai pas été meilleur. Et j'en suis arrivé à la conclusion que c'était l'aspect mental qui m'avait fait défaut (...) C'est évident que le Stéphane Matheu d'aujourd'hui aurait pu aider le Stéphane Matheu de l'époque." A l'arrivée, ce sont les pros de l'équipe Winamax de poker qui bénéficient au quotidien dans leur carrière (et plus encore sur les fins de tournois, "quand les enjeux deviennent élevés et les émotions plus compliquées à gérer") de celle dont l'entraîneur bercé au poker par Gus Hansen a mis "longtemps à faire le deuil". Depuis, il revit, et son bonheur transpire. Il n'y avait qu'à le voir le mois dernier lors du WPO (Winamax Poker Open) de Bratislava ou plus récemment à l'occasion du WiPT (Winamax Poker Tour) de La Villette briefer ses petits protégés avec la plus grande bienveillance avant de les laisser filer en découdre aux tables. "Je manage le groupe, je suis présent lorsqu'ils ont besoin de moi. C'est aussi beaucoup de logistique et de planning", précise toutefois le modeste et humble Stéphane Matheu, 49 ans aujourd'hui, et toujours cette même envie que lorsqu'il se voyait encore devenir le futur Guy Forget. Il ne le sera jamais. En revanche, d'un Toni Nadal du poker, il a assurément tout.