Portrait : Fignon, l'immortel romantique

Portrait : Fignon, l'immortel romantique©Panoramic, Media365
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Thomas Siniecki, Media365 : publié le mardi 19 juillet 2022 à 11h00

Plus de dix ans après sa disparition, Laurent Fignon est toujours ancré de manière indéfectible dans les mémoires des passionnés de cyclisme. Son profil était différent, particulièrement dans ces années 80 où il a su connaître un rebond insoupçonné.

C'est inévitable et logique. Comme pour Jacques Anquetil, Raymond Poulidor, Bernard Hinault ou même Richard Virenque voire Julian Alaphilippe dans des temps moins anciens, le nom de Laurent Fignon est souvent lié de manière presque exclusive à l'histoire du Tour de France. Les fameuses huit secondes de l'ultime contre-la-montre de l'édition 1989, laissées à Greg LeMond sur l'interminable ligne droite des Champs-Elysées, ont marqué à tout jamais le sport français. Mais pour arriver lui aussi à un tel niveau d'excellence, Laurent Fignon devait bien sûr être un coureur d'exception, loin de s'être contenté de simples flamboyances sur le Tour. Même si ses faits d'armes sur les routes de l'Hexagone suffiraient déjà largement à remplir quelques livres.

En effet, sous les couleurs de son équipe Renault - Elf - Gitane, le Parisien a remporté les éditions 1983 et 1984, ce qui le fait entrer dans le club des huit coureurs français à s'être imposés au moins deux fois - avec Jacques Anquetil, Bernard Hinault (cinq victoires), Louison Bobet (trois victoires), Lucien Petit-Breton, André Leducq, Antonin Magne et Bernard Thévenet peu avant lui (deux victoires). Au total, ils ne sont même que 21 à avoir réussi cette passe de deux, ce qui vous classe un homme. Dès 1983, donc, à l'âge de 22 ans, Laurent Fignon profite du forfait de Bernard Hinault pour gagner le Tour dès sa première participation. Avant lui, seuls Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Felice Gimondi, Eddy Merckx et Bernard Hinault avaient réussi pareille performance.

"Pendant huit secondes, on n'a rien le temps de faire !"

En 1984, il réussit l'exploit de bisser pour sa deuxième participation. Cette fois, seuls Eddy Merckx et Bernard Hinault s'étaient également manifestés par un tel doublé, rejoints bien plus tard par Tadej Pogacar... Cet été-là, béni pour le sport français avec le premier titre des Bleus en football tout juste glané lors de l'Euro à domicile, Laurent Fignon écrase Bernard Hinault. Le "Blaireau", quadruple vainqueur du Tour, tente d'attaquer à L'Alpe d'Huez, alors qu'il a déjà sué sang et eau pour recoller à son adversaire dans la montée. Le futur double lauréat est presque humiliant de facilité : "Quand j'ai vu ça, je me suis marré. Véridique. J'ai rigolé. C'est une attitude aberrante. Quand tu te fais larguer, la moindre des choses, c'est de profiter de ton retard pour te rebecter. Mais il a trop d'orgueil."

Avec ses cheveux longs et ses lunettes, tout est résumé : Laurent Fignon sait être intello et scientifique sur son approche de la course, tout autant que puncheur plein de panache et d'instinct lorsqu'il le faut. Et lorsqu'il le sent, surtout. Mais la redescente est presque aussi brutale que son ascension : forfait sur blessure en 1985, il ne s'adjuge aucun succès majeur durant trois saisons complètes. Il relance la machine avec Milan-San Remo en 1988 et à nouveau en 1989, cette année où il entre au panthéon des perdants magnifiques... mais pas seulement, puisqu'il conquiert aussi le Tour d'Italie, ce Giro qui lui avait échappé de manière extrêmement étrange en 1984 face à Francesco Moser. Le coureur local avait alors été aidé par les organisateurs, notamment sur des modifications de parcours de dernière minute.

Ironie du sort, le doublé lui échappe à nouveau d'un rien, mais cette fois dans l'autre sens. Il faudra attendre 1995 et Laurent Jalabert, sur la Vuelta, pour qu'un Français gagne à nouveau un grand Tour (ce qui demeure le dernier sacre tricolore en date). Et l'ultime souvenir de Laurent Fignon restera irrémédiablement lié à ces maudites huit secondes... D'où l'introduction de son autobiographie, parue un an avant sa mort en 2009 : "Ah, mais je vous reconnais : vous êtes celui qui a perdu le Tour de huit secondes ! - Non, monsieur, je suis celui qui en a gagné deux." Huit secondes qui le hantent : "Dès le lendemain de cette défaite, je les comptais dans ma tête. Plus je comptais, plus je me rendais compte du ridicule espace-temps que ça représentait. Pendant huit secondes, on n'a rien le temps de faire !"

Il expliquait ne jamais avoir "fait son deuil d'un événement aussi violent" : "Au mieux, parvient-on à en domestiquer les conséquences psychologiques." Grâce à cette spécificité si nationale qu'il décrit mieux que personne : "Pour un Américain, c'est mieux d'avoir gagné. Pour un Français, c'est presque mieux d'avoir perdu !" LeMond avouera s'être "senti mal pour lui". Laurent Fignon décédera un peu plus de 21 ans après, d'un cancer des voies digestives. Un mois seulement après avoir commenté le Tour 2010. Bernard Hinault l'a "toujours vu joyeux et heureux de vivre, même dans les moments les plus difficiles" : "Il parlait franchement. Chacun s'exprime à sa manière. Lui, il osait dire ce qu'il pensait." "Il a été noble jusqu'au bout, comme il l'a toujours été, conclut le directeur sportif Alain Gallopin, son ex-kiné. Il a donné tout ce qu'il pouvait."

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