Golf - Havret : "Perez ne laisse rien au hasard"

Thomas Siniecki, Media365 : publié le mercredi 07 avril 2021 à 18h00

Après avoir atteint les demi-finales du WGC de match-play il y a dix jours, Victor Perez enchaîne jeudi avec le mythique Masters. Décryptage de son aîné Grégory Havret (44 ans), toujours en activité sur le circuit européen.

Grégory, quel est votre regard sur Victor Perez, 29eme mondial et qui s'apprête à disputer son deuxième Masters d'affilée à 28 ans ?
C'est notre porte-drapeau, un joueur magnifique. Il a un vrai coup à jouer. Parce qu'il est en forme ; et aussi grâce à sa tête, sa structure mentale. Il s'implique, il est appliqué, avec un très bon entourage qui connaît très bien le milieu. Il est méticuleux et ne laisse rien au hasard, il analyse beaucoup de choses. Tous les pions sont dans la suite logique des choses, il est dans le vrai pour tout ce qu'il fait. Il y aura peut-être des doutes, mais il a son équilibre, il habite près de Saint Andrews avec sa copine. Il évolue bien, il est hyper sain. Du peu que je le connais, je l'adore, il est drôle, pas fermé ou obtus... Dès qu'on a su que l'Open de France aurait lieu, il a dit qu'il viendrait, que la question ne se posait pas, sans prendre de haut ou dire qu'il aviserait selon son calendrier... On verra la suite, mais il est vraiment simple et sympa.

Chose rare du fait de la réorganisation du calendrier à cause du Covid, il va enchaîner un deuxième Masters en cinq mois, puisque l'édition 2020 avait été décalée d'avril à novembre...
Ça ne peut être que bénéfique. Il ne jouera pas dans les mêmes conditions météo, mais ce sera probablement le même style avec de l'humidité, etc. Il l'a sans doute encore dans la tête, c'est assez frais. Après, ce ne sera pas le seul dans ce cas, ça ne sera pas forcément un avantage. C'est un nouveau Masters et les cartes sont rebattues. Tout le monde repart de zéro. Mais c'est peut-être le type de joueur qui s'affinera à Augusta et y fera de bonnes performances dans quelques saisons. On en reparle dans dix ans... Je lui souhaite dès cette saison, mais il est encore un peu jeune. Au fur et à mesure, c'est un tournoi qui lui conviendra.

"S'ils sont ensemble avec Dubuisson à l'Open de France, je m'arrête et je vais les voir jouer !"

Avant sa première apparition, il disait vouloir profiter du fait de ne rien connaître de ce mythique parcours...
La fraîcheur peut être un avantage, mais je pense quand même l'inverse. Il y a beaucoup trop de pièges et de choses à savoir, à Augusta, pour penser que ça peut passer dès la première fois... Tous les coups sont différents selon les placements de drapeau, ça peut être opposé du jour au lendemain sur le même trou. On peut trop facilement y commettre des erreurs que certains, qui le jouent depuis dix ou quinze ans, ne font pas. J'avais partagé une partie de reconnaissance avec José Maria Olazabal, il m'avait expliqué tout ça avec énormément de détails : si tu peux faire le 13 en deux coups avec le drapeau au fond à gauche, fais-le, car si tu vas dans l'eau, le drop te donne un chip très facile ; à l'inverse, si le drapeau est là, le drop - chip sera injouable car la petite pente t'amènera hyper loin... Si tu ne sais pas tout ça, tu perds quelques points et le score n'est pas à la hauteur de ton jeu.

Un pronostic pour lui cette semaine ?
Je le vois entre la 20eme et la 30eme place. Ce ne sera pas comme ça pendant dix ans, parfois il manquera le cut... Mais il sera à l'aise, il est déjà de plus en plus serein et il couple ça avec sa minutie, sa manière de gérer les choses qui le rend de plus en plus performant.

Sa spécificité vient également de sa formation américaine, ce qui l'a aussi naturellement conduit vers le PGA Tour.
A l'école, quand on me parlait de fac aux Etats-Unis, ça me faisait presque peur. Désormais, ils y vont en courant. Et heureusement, c'est génial ! Il ne pense qu'à ça, comme Antoine Rozner, Alexander Levy ou Matthieu Pavon, ils ont grandi avec ça. Dès qu'ils ont l'opportunité, ça devient un objectif. C'est aussi pour ça qu'ils progressent si vite. J'ai eu l'opportunité de rejoindre le PGA Tour après ma deuxième place à l'US Open 2010, c'était inenvisageable pour moi, je n'avais pas ces objectifs. Peut-être que ça m'a bloqué un peu, en tout cas je n'étais pas prêt, je n'y avais même pas pensé. Pour moi, c'était le crash automatique, or je n'avais pas le droit ! Et puis, la domination du circuit américain ne se discute plus, surtout depuis le Covid. Ce n'était pas le cas il y a dix ans.


Comment qualifieriez-vous son jeu ?
Son caddy l'aide à être beaucoup plus agressif, alors que ce n'est pas son naturel. Depuis qu'ils ont gagné le Links ensemble en 2019, ils ne se quittent plus. Il associe son côté méticuleux à cette liberté, qui caractérise aussi les meilleurs comme Dustin Johnson ou Brooks Koepka, qui sont également très naturels et pas calculateurs tel un Nick Faldo en son temps. Ce sont de vrais joueurs de golf, il essaie de tendre vers ça. Ce qui ne l'empêche donc pas d'être très précis et organisé. Le résultat est canon, il ne faut pas sous-estimer ses énormes efforts et son immense implication quotidienne. Ça a l'air simple et limpide, mais pour l'avoir vécu, c'est réellement compliqué d'arriver à tenir cette rigueur et ces choix, de faire autant confiance à des personnes. C'est paradoxal, mais ça donne de la simplicité. Il s'oublie lui-même, il est à fond dans son truc et ne se pose pas de question.

Difficile, enfin, de ne pas faire le parallèle avec Victor Dubuisson. On attendait pareille tête d'affiche pour le golf français depuis 2014 et la participation de "Dubush" à la Ryder Cup, que Victor Perez pourrait à son tour disputer en septembre...
Il est fier d'être français, il a la tête sur les épaules et son discours est calme et limpide. Il est bien dans sa tête, ce qui facilite probablement sa progression. Et c'est de mieux en mieux, ça se voit. Dans sa façon de parler, il transpire le mec logique et simple, mais qui sait où il veut aller. Il s'installe plus dans une logique de carrière que Victor Dubuisson, avec un extérieur plus structuré. Même si Perez n'a pas encore atteint le top 20 mondial... Chacun à leur manière, ils sont exceptionnels et dégagent quelque chose de rare. J'adore regarder les deux. Le pincement que j'ai lorsque je me mets derrière "Dubush" au practice, je l'ai rarement avec d'autres. Avec Victor Perez, je l'ai ailleurs, plutôt dans cette façon de voir et de concevoir, de penser à l'avenir, de discuter avec son caddy... Je bois tous ces moments. S'ils sont dans la même partie à l'Open de France, je m'arrête et je vais les voir jouer !

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