Aurélien CANOT, Media365, publié le jeudi 06 octobre 2022 à 15h55
Présents la semaine dernière à Bratislava pour la toute première édition du Winamax Poker Open en Slovaquie, nous avons tenté de savoir si le poker, certes très éprouvant d'un point de vue mental mais beaucoup moins sur le plan physique, doit néanmoins qualifié de "sport" ou pas. Une sacro-sainte question qui revient régulièrement, sans pour autant s'entendre sur une réponse définitive. Pour cela, rien de mieux que d'interroger les joueurs du Team Winamax Pro, qui font partie des meilleurs spécialistes de la planète.
La question revient régulièrement autour des tables. Le poker est-il un sport ? Sachant que les échecs sont reconnus comme un sport à part entière depuis le début des années 2000, tout laisse penser que le poker mérite lui aussi le qualificatif. Pourtant, il y a toujours cette embêtante définition du sport qui revient comme un boomerang et refroidit ceux qui auraient tendance à associer le poker aux échecs sur la liste des disciplines dites "sportives". Car le dictionnaire voit en le sport une "activité physique exercée dans le sens du jeu et de l'effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique et le respect de règles." C'est avec cette définition en poche et tout un tas de questions à poser que nous avons pris la semaine dernière la direction de Bratislava (Slovaquie) pour y mener notre enquête et tenter d'en revenir le cœur net et enfin dans nos bagages la réponse à notre question. On ne pouvait pas mieux tomber. Pendant cinq jours, le Banco Casino de la capitale slovaque a en effet hébergé ce qu'il se fait de mieux ou presque à l'heure actuelle sur la planète du flop, de la river et des jetons en céramique que l'on prend un malin plaisir à malaxer tandis que le miseur qui vous précède tente de vous déstabiliser alors que vous êtes en pleine réflexion (dans le jardon, on appelle ça tanker). De là, à ce que jaillisse enfin la lumière, il n'y avait qu'un pas. D'autant que nous attendait dans la lounge room des lieux (l'équivalent de la player's lounge en tennis) le Team Winamax Pro au complet. Romain Lewis, champion du monde en titre, Pierre Calamusa, l'un des meilleurs joueurs français, ou encore Davidi Kitai, le roi des stats sauce belge, excusez du peu. Mais alors, le poker, sport ou pas sport ?
Le goût, la saveur et l'apparence du sport ?
Romain Lewis, lunettes sur le nez, est partagé. Et pour avoir pratiqué tennis de table et foot par le passé, il sait de quoi il parle. "C'est challengeant mentalement, et je suis déjà sorti de la table en sueur, mais on ne peut pas être autant rincé qu'après une compétition sportive". Une sorte de Canada Dry en sorte, qui aurait l'apparence du sport, le goût du sport et la saveur du sport, mais n'en serait pas un ? "Au niveau des micro-changements des ajustements à effectuer pour gagner sur la longueur et s'améliorer, ça ressemble à un sport", conclut néanmoins le jeune joueur français plus connu sous le nom de "rLewis" et qui pèse un peu moins de 2 millions de dollars de gains avant de tourner le dos et de se reconcentrer sur la compétition. Pierre Calamusa, gabarit de body-builder, passe alors dans le coin. Et pour "LeVietFOu", qui a compris les raisons de notre présence au coeur de l'antre du Team Pro de Winamax lors de ce premier Winamax Poker Open en terre slovaque, la question prêterait presque à rire. D'ailleurs, le sympathique Pierre ne s'en cache pas, de rire. Son éternel sourire en bandoulière. "Pour moi, le poker n'est pas du tout un sport, car tu n'as pas la dimension d'effort physique et musculaire, qui est pour moi lié à une activité sportive. Tu es fatigué après une grosse journée de poker, mais surtout mentalement. Physiquement, ça va. J'ai parfois mal à la tête ou aux trapèzes, mais c'est surtout un problème de posture, mais jamais de courbatures."
Kitai : "J'ai changé d'avis plein de fois"
Pas de regret ? Ah, le revoilà qui revient à la charge, mais c'est encore lui qui rafle le pot avec un ultime "Dans la préparation, être en forme physiquement peut aider à être en forme mentalement et à mieux jouer, mais c'est tout." Davidi Kitai nous a vu venir de lui aussi. Normal, il est connu pour ses talents d'observateur. En revanche, pour ce qui est de trancher, il repassera. Car pour lui comme pour nous, c'est le grand flou. "Il y a débat depuis longtemps, je ne sais jamais où me poster, j'ai changé d'avis plein de fois". On lui assure que les échecs sont désormais reconnus comme un sport à part entière. "Kitbul", ancien footballeur amateur, remise. "Si les échecs sont considérés comme un sport, le poker en est un aussi, dans le sens où c'est cent pour cent comparable : ça demande de la concentration, de l'adaptation. Les gens disent que ce n'est pas un sport car il y a du hasard, mais il y a du hasard dans tous les sports. C'est juste que ce n'est pas un sport physique. On peut bien jouer au poker et être en mauvais état physiquement." Nous voilà au même stade qu'avant de débarquer dans les coulisses de ce Winamax Poker Open de Bratislava appelé à devenir non seulement le premier en Slovaquie mais également le plus gros tournoi 6-max (à six joueurs par table) en Europe de l'histoire du poker en live (devant le main event du WPO de Madrid en mai dernier) et aussi celui qui a généré la plus grande cagnotte de poker en Slovaquie, avec un montant total de 977 240 euros.
Echec et... Matheu !
On s'apprête alors à abandonner cette lounge room à son futur destin quand une idée nous vient soudainement à l'esprit comme un full viendrait doucher à la river même la plus belle des quintes, si tant est qu'elle ne soit pas flush et encore moins royale. L'idée en question ? Trouver un joueur de poker qui aurait brillé auparavant dans un sport. Mais pas sûr que cela existe. Sauf que nous venons d'apprendre que Stéphane Matheu, aujourd'hui coach mental du Team Pro frappé du W rouge, s'était fait un nom plus jeune sur les courts de... tennis. Nous tenons notre homme ! Et notre réponse du même coup ? Ca, c'est moins sûr... "Si le poker est un sport ? C'est une question que l'on me pose depuis quinze ans. Il n'y a pas une réponse claire à mes yeux", nous répond sans réfléchir le géant, ancien monstre de la catégorie juniors de la petite balle jaune. Alors on relance... Heureusement pour nous, Matheu ne se couche pas. Mieux : il fait tapis. "Ce n'est pas un sport dans le sens où il n'y a pas vraiment de dimension athlétique dans la performance au-delà du fait d'avoir assez d'endurance pour rester concentré pendant plusieurs jours ou sur une longue journée et qu'il n'y a pas besoin de préparation comme pour les sportifs de haut niveau car on ne parle pas vraiment de performance athlétique. En revanche, ça s'apparente complètement à un sport au niveau psychologique de la compétition. Dans ce sens-là, on est complètement dans le domaine du sport."
Un retard, des burpees... Tout est dit !
Pour résumer, "ce n'est pas un sport dans le sens athlétique, Mais ça l'est dans le sens mental, de la pression et de la gestion des émotions, de l'événement, de son planning". Il ramasse, on checke ? Non, pas encore. Car l'ancien sparring-partner de Pete Sampras a gardé un as dans sa manche. "J'ai été joueur de tennis et ce que vivent les joueurs de poker ressemble de très près à ce que je vivais quand j'étais joueur de tennis : on va à l'hôtel, on fait ses valises, on rentre deux jours à la maison, on part au prochain tournoi, on est seul une grande partie du temps... Il y a vraiment beaucoup de similitudes." Il a d'ailleurs transformé le brief matinal en vestiaire. "Dans ma position de manager, j'ai pris la posture de traiter la discipline comme un sport, c'est à dire que je travaille avec mes joueurs comme avec des athlètes, même s'il y a deux trois transpositions à faire car la discipline est un peu différente." Et devinez quoi ? Tout retardataire à la séance quotidienne doit se plier à des burpees. Pour ceux qui ne connaissent pas, les burpees, c'est comme des pompes, une extension et de la sueur en plus. Bref, c'est du sport. CQFD. On tient notre réponse. Et les échecs peuvent aller se rhabiller.