Portrait : Houdet, la légende vivante du tennis fauteuil

Thomas Siniecki, Media365 : publié le mardi 31 août 2021 à 20h12

Stéphane Houdet, porte-drapeau de l'équipe de France, est qualifié en finale du double et pour les demi-finales du simple. Insatiable à 50 ans, il a transformé depuis 1996 son handicap en une gigantesque soif de vaincre.

Avant son accident de moto à l'âge de 26 ans, Stéphane Houdet avait monté son classement en simple jusqu'à 2/6. En 1996, alors qu'il s'apprête à devenir vétérinaire, il percute une voiture en Autriche et perd l'usage de son genou gauche. Il se tourne d'abord vers le golf handisport avec une grande réussite, puisqu'il devient champion de France puis meilleur joueur européen. Le tout avec sa "jambe douloureuse", comme il l'explique au Monde. En 2004, il croise sur le parcours un certain Matthew Smith, nanti d'une prothèse : "Il se débrouillait beaucoup mieux que moi. C'est ça que je voulais !" Houdet se décide alors à amputer sa jambe gauche, ce qu'il vit comme "un soulagement". Puis il rencontre Johan Cruyff sur un tournoi. La légende du Barça, entendant son projet de monter un circuit mondial de golf handisport, l'oriente vers l'organisation du tennis fauteuil.

Ni une, ni deux, Houdet se remémore ses souvenirs d'excellent tennisman. Il a alors 34 ans. "La première fois que j'assiste à un tournoi de tennis fauteuil, je vois jouer le 17eme joueur mondial et je me dis que s'il est 17eme, moi je suis seizième." Arrive alors la découverte du fauteuil... "C'était l'enfer. J'étais terriblement frustré. Je n'arrivais pas à me déplacer, je ne savais pas où mettre la raquette ni comment faire bouger le fauteuil tout en frappant un coup droit ou un revers. Et je me coinçais les doigts dans les rayons..." Seize ans plus tard, un tel flash-back prête forcément à sourire. Et prouve aussi qu'il ne faut rien lâcher au démarrage. Dès le mois d'août 2005, il gagne ainsi un tournoi national pour sa première participation. Avant de devenir n°3 mondial dès 2007.

Beust : "Avant d'être un bon joueur en fauteuil, il est d'abord un très bon joueur de tennis"

Aux Jeux Paralympiques de Pékin, en 2008, il est médaillé d'or en double, ce qui lui vaut la Légion d'Honneur dès 2009. Tout ce que touche Houdet continuera de se transformer en or lors de la décennie suivante : Roland-Garros et n°1 mondial en 2012 ; encore Roland-Garros en 2013, cette fois en simple et en double, puis l'US Open ;  finale de Roland-Garros en 2014 et 2015 ; victoire en double avec Nicolas Peifer à Roland-Garros, en 2017, puis deuxième succès à l'US Open ; finale de l'Open d'Australie en 2018, et doublé à Roland-Garros avec Peifer. Et tout ce palmarès n'est que parcellaire : au total, Houdet a ainsi remporté 19 tournois du Grand Chelem en double. Ses trois grands partenaires auront été son compatriote Michaël Jeremiasz, de 2007 à 2009 ; son rival et néanmoins ami japonais Shingo Kunieda, de 2010 à 2015 ; et désormais Peifer, qui l'accompagne à Tokyo.

Ce n'est toutefois pas une romance si neuve que ça : au beau milieu des neuf couronnes remportées avec Kunieda, Peifer avait déjà gagné l'US Open avec Houdet en 2011. Egalement vainqueur d'un Masters en simple (2011) et sept autres en double, Houdet a bien sûr marqué chaque édition paralympique. Après trois médailles, une de chaque métal, en 2008 et 2012 avec Jeremiasz - or en 2008, argent en simple et bronze en double en 2012 -, c'est déjà avec Peifer que le médecin de 50 ans avait récupéré son titre mondial en 2016 à Rio. Et qu'il tente donc de le conserver au Japon, qualifié pour la finale qui aura lieu vendredi - les deux Français disputent aussi leur demi-finale respective en simple, dans la nuit de mardi à mercredi, dont Houdet face à Kunieda, et pourraient donc se retrouver en finale.

Porte-drapeau de la délégation française avec la judokate Sandrine Martinet, lors de la cérémonie d'ouverture, Houdet peut porter son rêve du début à la fin avec cette idée d'un doublé fou. "Il y a un truc qu'on sait faire parfaitement : être un mur, se délectait-il à la sortie de sa demie victorieuse du double (pour L'Equipe). Ils ne peuvent pas marquer de points parce qu'on défend très bien. Et chaque fois qu'on a une opportunité, on accélère. On l'a fait à merveille, ça a souri. On s'est super bien préparés. On sait que c'est une partie du chemin qu'on veut faire. Mais on va aller avec sérénité en finale." Pour magnifier, encore et toujours, l'esprit de la gagne poussé à son paroxysme, afin de rappeler qu'il s'agit bien d'une compétition avant d'être un rassemblement handisport.

Houdet a toujours recherché une "intégration globale" pour tous. D'après lui, "Roger Federer prendrait 6-0, 6-0" en fauteuil (il l'exclamait à nouveau pour Le Monde). Le "demi-tour après chaque coup, pour se remettre dans le sens du jeu", est la principale - et énorme - différence avec les valides - en plus des deux rebonds autorisés. "Les joueurs de tennis classiques voient tous leurs repères chamboulés ; le plus dur pour eux, c'est de perdre la balle des yeux après l'avoir frappée." Son entraîneur Aloïs Beust a également dû s'adapter : "Au début, c'était déstabilisant. Nous n'étions pas habitués. Il a fallu comprendre son fonctionnement et ses attentes, trouver la cadence juste, s'habituer aux trajectoires des balles, particulièrement liftées. Mais avant d'être un bon joueur en fauteuil, il est d'abord un très bon joueur de tennis." Un mythe, même.

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