Emmanuel LANGELLIER, Media365 : publié le mercredi 29 avril 2020 à 13h42
Vainqueur de six Roland-Garros et de cinq Wimbledon, Björn Borg avait révolutionné le tennis dans les années 1970. Véritable machine délivrant ses coups du fond du court avec une incroyable régularité, le Suédois avait également marqué son époque par sa glaçante efficacité, sa technique novatrice et son look détonnant.
C'était une autre époque. Celle des « pattes d'eph », des blue-jeans, des années disco, de Pompidou et de Giscard. De la retransmission de Roland-Garros à la TV et en couleur. Il y a une quarantaine d'années, il y avait eu Björn Borg. Bien avant Pete Sampras, Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic, le longiligne Suédois avait marqué le tennis. Un joueur au bandeau devenu célèbre qui s'était octroyé le plus beau palmarès de l'ère Open en remportant 11 titres du Grand Chelem (derrière les 12 de Roy Emerson remportés auparavant de 1961 à 1967). Un trésor amassé avant de prendre une première retraite sportive à seulement 26 ans.
C'était à la fois le Nadal et le Federer de l'époque. Dans les années 1970 avec un prolongement au tout début des années 1980, Borg gagnait chaque année Roland-Garros. Ou quasiment. Ainsi que Wimbledon. Une machine. Inlassablement, mécaniquement, méthodiquement, Borg usait ses adversaires du fond du court et finissait par avoir le dernier mot avec une froide efficacité et une concentration de tous les instants. Un mental du tonnerre. D'où son surnom de « Ice Borg ».
Une prise de raquette novatrice, une endurance exceptionnelle
Que ce soit sur deux surfaces aussi différentes que la terre battue et le gazon, avec en outre une transition très rapide et compliquée entre les deux épreuves, le natif de Stockholm triomphait. Implacable, impressionnant. Avec une raquette en bois et une prise novatrice, ses revers précis à deux mains et ses coups droits liftés, qui révolutionnaient alors le jeu, avaient réponse à tout. Extrêmement endurant, il était ainsi demeuré invaincu sur la terre ocre parisienne et l'herbe londonienne du 2 juillet 1977 au 7 juin 1981. Son profil désarmant contrastait particulièrement avec les Ilie Nastase, Jimmy Connors et John McEnroe, éléments excentriques et impulsifs. Avec ses cheveux longs, ses bandeaux autour de la tête, Borg, c'était aussi un look détonnant. Une allure et une réussite qui provoquaient une énorme flambée d'enthousiasme populaire pour le tennis.
Deux ans seulement après avoir lancé sa carrière professionnelle en 1972 à 16 ans, Borg, qui avait commencé par taper la balle sur la porte de son garage avec une raquette offerte par son père alors qu'il avait 9 ans, avait soulevé le Trophée des Mousquetaires à Paris. L'avènement d'un prodige vainqueur de son premier tournoi à 11 ans, sacré champion du monde junior en 1971 et 1972, et devenu le plus jeune joueur de Coupe Davis à 15 ans en 1972.
Six Roland-Garros en l'espace de huit ans, dont le premier à l'âge de 18 ans
Pour son premier tournoi pro, le jeune talent repéré par Lennart Bergelin, sélectionneur de l'équipe suédoise de Coupe Davis, avait déjà atteint la finale du tournoi de Monte-Carlo en avril (défaite face à Ilie Nastase) ! En 1974, un an après avoir rallié les huitièmes de finale lors de sa première participation, il devenait le plus jeune lauréat de Roland-Garros à 18 balais. Pourtant mené deux sets à rien, il avait renversé et fini par écœurer l'Espagnol Manuel Orantes (2-6, 6-7, 6-0, 6-1, 6-1).
Le premier sacre d'une formidable série de six, dont quatre d'affilée. Auteur du doublé en 1975 (succès aisé en trois manches contre Guillermo Vilas), Borg remettait ça en 1978. Puis en 1979. Puis en 1980 et 1981. Vilas, encore, Victor Pecci, Vitas Gerulaitis et Ivan Lendl passaient à la moulinette en finale. Six couronnements en l'espace de huit ans. Les deux autres éditions ? Exténué par un marathon long de 4h30 remporté contre le héros local François Jauffret sous une chaleur torride, le Suédois avait plié en 1/4 devant Adriano Panatta en 1976. Quant à 1977, il avait été interdit de Roland-Garros comme tous les joueurs en contrat avec la World Team Tennis...
Fabuleuse finale 1980 à Wimbledon contre McEnroe
Star devenue l'égérie de nombreux sponsors et l'un des précurseurs dans ce domaine, le Scandinave avait également forgé sa légende en décrochant cinq Wimbledon consécutifs de 1976 à 1980, record qu'il partage avec Federer. Sur le Central Court, il utilisait d'autres atouts pour mettre ses rivaux au tapis. Notamment ses services puissants lui apportant de nombreux aces, ses excellents retours ainsi que ses passing-shots et ses lobs aiguisés débordant les serveurs-volleyeurs. Sans oublier évidemment ses coups droits tonitruants et ses impitoyables revers effectués à deux mains. Avec sa prise de raquette, il tranchait vivement dans une époque dominée par le revers à une main et des coups droits à la puissance limitée.
Réputé à tort joueur au profil défensif, il prenait le meilleur sur les serveurs-volleyeurs, tel John McEnroe. Borg avait d'ailleurs signé son plus célèbre succès face à l'Américain en finale de l'édition 1980. Au terme d'une rencontre fabuleuse, marquée par un tie-break ahurissant (18 points à 16 en faveur de McEnroe au quatrième set), le beau gosse suédois avait fini par s'agenouiller une nouvelle fois sur le Central Court du All England Club (1-6, 7-5, 6-3, 6-7, 8-6 en 3h53).
Retraite surprise pour ce génie du tennis, « la motivation n'était plus là »
Un sacre qui était aussi son dernier à Londres. Battu l'année d'après par le gaucher US tempétueux (4-6, 7-6, 7-6, 6-4), Borg, numéro 1 mondial fin 79 et 80, raccrochait les raquettes en 1981 après un autre revers face à McEnroe en finale de l'US Open, tournoi qu'il n'allait jamais accrocher à son palmarès malgré quatre finales (deux contre Connors et deux contre McEnroe), comme l'Open d'Australie (une seule participation en 1974). Lauréat également d'une Coupe Davis en 1975 et de deux Masters (1980, 1981), le Suédois était lassé à seulement 25 ans après moins de dix ans chez les pros. « Après la victoire de John McEnroe, j'ai directement filé à la maison que je possédais alors à Long Island. J'ai sauté dans la piscine comme un vacancier. Là, en me prélassant, j'ai réalisé que la motivation n'était plus là. Ce jour-là, j'ai décidé d'arrêter ma carrière. Décision que je n'ai jamais regrettée. J'avais été n°1, devenir n°2 ne m'intéressait pas », avait-il reconnu.
Officiellement retraité le 23 janvier 1983, après avoir seulement disputé Monte-Carlo l'année précédente (défaite en quarts contre Yannick Noah), Borg surprenait le monde du sport. Etalé de 1991 à 1993, son retour était un fiasco. Douze matchs pour autant de défaites, dont la plus fameuse restait la première à Monte-Carlo contre Jordi Arrese avec sa vieille raquette en bois. Ces dernières années, on a revu le mythique joueur suédois sur un court en tant que capitaine de l'équipe européenne dans le cadre de la Laver Cup, compétition soutenue par Roger Federer. A ce jour, Borg, 64 titres ATP au compteur (septième joueur le plus décoré de l'histoire derrière Connors, Federer, Lendl, Nadal, Djokovic et McEnroe) demeure l'unique joueur à avoir glané au moins trois fois Roland-Garros et Wimbledon. Même le légendaire trio Federer-Nadal-Djokovic n'y est pas parvenu.