Transat Jacques Vabre / Romain Attanasio : " Un bateau à foils, c'est comme passer de la Formule 3 à la Formule 1 "

Transat Jacques Vabre / Romain Attanasio : " Un bateau à foils, c'est comme passer de la Formule 3 à la Formule 1 "©Andre Carmo, Media365
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Aurélie SACCHELLI, Media365, publié le jeudi 04 novembre 2021 à 09h35

Quatorzième du dernier Vendée Globe, Romain Attanasio (44 ans) s'élancera dimanche sur la Transat Jacques Vabre aux côtés de Sébastien Marsset, sur son nouveau bateau à foils, Fortinet-Best Western, acquis au printemps. Un monocoque que le skipper a dû apprendre à maîtriser, et qui pourrait encore lui réserver quelques surprises. Le quinzième de la dernière édition s'est confié à notre site.

Romain Attanasio, comment abordez-vous cette Transat Jacques Vabre 2021 sur votre nouveau bateau à foils ?
On est plutôt prêts. On a navigué le maximum qu'on pouvait depuis qu'on a ce bateau, fin mai. Sébastien (Marsset), qui sera mon coéquipier sur la Transat, est avec moi depuis la mise à l'eau du bateau. Mais c'est vrai qu'il y avait un tel « dossier » pour prendre ce bateau en main... On a essayé de naviguer au maximum pour le connaitre le mieux possible. Il y a plein de subtilités, plein de nouveautés avec ce foiler. Et on a encore du travail, on n'a pas toutes les cartes en mains. Parfois on est encore un peu surpris par le bateau, par les réglages.



Il y a une telle différence entre un bateau à dérive et à foils ?
Je dirais qu'on passe de la Formule 3 à la Formule 1. Il y a une sacrée différence. Mon précédent Imoca était déjà un bon bateau, mais là c'est encore un autre monde. Maintenant je comprends pourquoi les gars partaient si vite aux entraînements, quand je vois les vitesses qu'on arrive à faire par moments. Il y a vraiment une différence de vitesse quand le bateau vole. Avec l'autre bateau, quand il y avait 17-18 nœuds de vent, je naviguais à 18-19 nœuds, un petit peu plus vite que le vent. Là, on est à 28-30 nœuds (1 nœud = 1,852km/h, ndlr). Quand le bateau vole, ça part comme un boulet.

Est-ce facile de trouver l'équilibre entre vitesse et sécurité ?
C'est ce qui est difficile, c'est là où on galère un peu avec Sébastien. On trouvait qu'on n'attaquait pas assez aux premiers entraînements, et à la Rolex Fastnet (une course en août qu'ils ont terminée à la sixième place, ndlr). On se retrouvait souvent bien placés, mais on perdait des places car on était un peu trop sur la retenue. Du coup, sur le Défi Azimut (une course en septembre où ils ont aussi fini sixièmes, ndlr), on s'est dit « on attaque à fond » et on a cassé trois voiles. Donc il faut trouver un compromis.

Attanasio : "Fortinet est venu parce que j'avais un foiler"

Comment avez-vous réussi à acheter ce bateau, qui appartenait à Boris Herrmann, cinquième du dernier Vendée Globe ?
C'était un rêve qui paraissait vraiment inaccessible, car j'avais des petits partenaires. Même si Best Western est une grande entreprise, ils ont beaucoup souffert du covid, il y a quand même des hôtels qui sont encore fermés. Je me disais : « ce n'est pas le moment de leur demander autant d'argent ». Je regardais un peu les bateaux à dérive, notamment celui qu'avait Clarisse (Crémer, 12eme à l'arrivée, ndlr) pendant le Vendée, un bateau de 2012. Je me disais : « ça sera moins cher et je pourrai peut-être le foiler après ». En parallèle du bateau de Clarisse, je rêvais un peu du bateau de Boris. Pour moi, c'était le meilleur, c'était un bateau de 2016 qui avait été refoilé, très bien optimisé par son équipe. Je l'avais appelé il y a un an et demi, bien avant le Vendée, pour savoir s'il vendait son bateau. Il m'avait oui, mais le prix n'était pas celui que je pouvais mettre. Et je l'ai quand même rappelé pendant le Vendée, car les contrats de sponsoring se terminaient après le Vendée. C'est un peu stressant, quand on arrive du Vendée, de ne pas savoir ce qu'il va se passer après. Il m'a dit que c'est Damien Seguin qui allait l'acheter. Un mois après notre discussion en mer, je le rappelle et il me dit que le bateau n'est toujours pas disponible. Entre temps, j'avais demandé à mon sponsor s'il ne voulait pas acheter un bateau avec moi, il venait de vendre sa société. Il a réfléchi. Trois jours après, Boris me rappelle, le bateau était disponible. C'était génial. Mais j'arrivais du Vendée, tout allait bien, et il fallait se remettre un crédit sur le dos...

Finalement, votre bateau s'appellera Fortinet-Best Western, comment cela s'est-il passé avec Fortinet ?
Avec Fortinet, on a passé un mois et demi à parler, on a fait des dizaines de dossiers pour leur expliquer notre projet. Ils m'ont dit OK, donc on s'est retrouvé avec le budget, le bateau et tout est parti comme ça. Finalement, il n'y a pas eu de temps morts, j'ai seulement pris des vacances à la fin août... Il fallait battre le fer tant qu'il était chaud. Fortinet est venu parce que j'avais un foiler, ils ne seraient pas venus sinon. C'est une entreprise leader dans la sécurité, ils veulent de la technologie. Même si ce n'est pas un bateau neuf, le challenge leur plaisait bien, et mon histoire aussi. C'est une boite américaine. Ils aiment bien les histoires de celui qui rentre par la petite porte et qui progresse à la force du poignet. Et aujourd'hui je me retrouve avec un beau projet, une belle équipe, un beau bateau, et prêt, autant que je peux, pour la Transat Jacques Vabre.

Faut-il une meilleure condition physique pour naviguer sur un bateau à foils ?
C'est plus humide, donc il faut des meilleurs cirés (rires). C'est plus usant, en fait. Ça vibre beaucoup, ça fait beaucoup de bruit, ça siffle. A l'intérieur du bateau, on a un casque en permanence, qu'on n'avait pas avant. Le bruit, c'est entre le sifflement et la vibration, c'est assez désagréable. Et on passe beaucoup de temps à genoux, car le bateau vole, on ne peut pas se tenir.  C'est stressant. Au début, on était impressionnés tout le temps, maintenant on est impressionnés de temps en temps, on progresse. Quand le bateau monte sur ses foils, puis sur le safran, parfois il décroche et il retombe, mais ce n'est pas juste l'avant qui monte et qui descend, c'est tout le bateau qui redescend. Dans le noir, ça fait des hauts-le-cœur, un peu comme un ascenseur qui part vite, c'est assez étonnant comme sensation. C'est assez grisant, mais très impressionnant. On s'est déjà fait peur plein de fois. Ce n'est pas de la peur panique, mais il y a plein de moments où c'est impressionnant. On regarde ça avec les yeux écarquillés.

Vous avez subi quelques avaries lors de vos courses d'entraînements...
Au Fastnet, on a fait un trou énorme dans la grand-voile au premier virement de bord. Je me suis dit : « c'est pas possible, on ne va pas abandonner ». Alors je repense à ce que m'avait dit un ancien partenaire : « Il vaut mieux mourir dans la gloire que vivre dans la honte », donc je préférais péter la grand-voile en deux que rentrer comme ça. Finalement, on a réussi à continuer, on a perdu des places, mais on a fini, c'était super. Après, sur l'Azimut, on a attaqué fort et on a pété un grand spi, refait un trou dans la grand-voile. Mais ce sont aussi des courses qui servent à ça, tester les limites du bateau. Et on n'a pas hésité à tester. Sur la Transat, on sait que chaque erreur coûte cher. On ne connaissait pas ce bateau, on avait une grosse marge de progression. De tout façon, en mer, celui qui gagne, ce n'est pas celui qui fait tout bien, c'est celui qui fait le moins de bêtises. On va en faire des bêtises, il faut juste essayer de ne pas refaire celles qu'on a déjà faites.

Attanasio : "Francis Cabrel a accepté d'être le parrain de mon bateau"

Vous allez disputer cette Transat avec Sébastien Marsset, comme en 2019 (15emes à l'arrivée), c'était un choix évident ?
La Transat qu'on avait faite il y a deux ans s'était très bien passée et je lui avais dit à l'arrivée que je le reprendrais cette année s'il était dispo. Et pour ce bateau, je voulais vraiment quelqu'un qui prenne le bateau en main avec moi. J'ai eu plein de très bons skippers qui m'ont appelé pour faire la course avec moi, mais je ne voulais pas quelqu'un qui arrive juste pour les courses, un peu en « rock star », même si ce n'est pas péjoratif. Je voulais vraiment quelqu'un qui soit avec moi pendant toute la durée de prise en main du bateau, qui soit là tous les jours. Sébastien était disponible pour ça. Je l'ai choisi et j'ai fait le bon choix car on a énormément travaillé tous les deux, et on n'était pas trop de deux (sourires).

Que vous inspire le parcours de cette édition 2021, avec cette boucle à effectuer au nord-est du Brésil et ce double passage de l'Equateur ?
C'est inquiétant, car j'ai tellement eu un Pot au Noir horrible, le pire de ma vie, à la remontée du Vendée Globe que je me dis que ce n'est pas si simple. C'est tellement aléatoire. Le parcours, on le connait bien, même si on ne connait pas la partie entre l'archipel brésilien de Fernando de Noronha et la Martinique (je l'ai déjà faite une fois en convoyage). Elle n'est pas simple, le long de la côte, avec beaucoup de sargasses (algues brunes en décomposition, ndlr) qui viennent se coincer dans la quille. C'est un peu plus long que d'habitude. Il y a la sortie de la Manche qui n'est jamais simple, la sortie du Golfe de Gascogne aussi, avec du vent de face, des tempêtes, comme souvent. La descente de l'Atlantique, on verra, et ces deux Pots au Noir, même si, plus on le prend vers l'Ouest, mieux c'est, et après Fernando on sera vraiment dans l'Ouest. Le Pot au Noir est souvent très actif au mois de novembre.

Quel objectif vous fixez-vous ?
C'est hyper difficile. Il y a du beau monde. J'aimerais déjà matcher avec les meilleurs, ne pas être en retrait.



Francis Cabrel a-t-il accepté d'être le parrain du bateau ?
Oui, il accepté ! C'est une histoire rigolote. C'est grâce à Marie Tabarly (navigatrice et fille d'Eric, ndlr). Son agent connait bien Philippe, le copain de toujours de Francis Cabrel. Elle savait que je l'aimais beaucoup, et mi-octobre, elle me dit : « viens, on va à Brest ensemble, je t'ai organisé une rencontre avec Cabrel. » Il a été très cool, toute son équipe aussi d'ailleurs. Il ne s'y connait pas en voile, il m'a dit : « j'habite à 300km de la mer, ce n'est pas du tout mon domaine, je n'ai jamais fait de bateau à voile, mais ça m'intéresse. » Il voulait bien naviguer, mais dans deux nœuds de vent, je lui ai que non, il faut quand même que ça voile, on trouvera des conditions sympas, sans que ça fasse peur non plus. Après, c'est un gars discret, on fera ça sans que tout le monde soit au courant.

Crédit photo : André Carmo

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