Exclu/Voile - Jérémie Beyou se confie avant le départ de la Route du Rhum

Aurélie SACCHELLI, Media365, publié le vendredi 04 novembre 2022 à 10h37

Jérémie Beyou sera mardi ou mercredi au départ de la Route du Rhum à St-Malo, à la barre de Charal 2, mis à l'eau au mois de juillet. Le skipper de 46 ans, deuxième de l'épreuve en 2014, ne prendra pas de risques inconsidérés avec son nouveau bateau, mais espère bien profiter de la moindre opportunité.

Jérémie Beyou, comment se passe la navigation sur votre nouveau bateau Charal 2, mis à l'eau au mois de juillet ?Tout va bien. C'est un peu bête à dire, mais avec les bateaux neufs, il peut y avoir autant de problèmes qu'il y a de pièces à bord, donc ça en fait un paquet (sourire). On a des problématiques, mais rien de grave, rien qu'on n'ait pas réussi à régler, rien qui nous empêcherait d'être au départ. En termes de performance, ce qu'on voit depuis le début est plutôt encourageant, prometteur. On a vraiment des supers phases avec le bateau. Les confrontations qu'on a eues avec nos concurrents, que ce soit sur le Défi Azimut (3eme derrière Charlie Dalin et Thomas Ruyant, ndlr), sur les stages qu'on a faits à Port-la-Forêt sont plus rassurantes. Maintenant, on doit continuer à découvrir le bateau dans tous les modes, dans toutes les allures, tous les sens de vents, acquérir de la constance pour oser espérer faire une super belle place sur cette Route du Rhum. Il y a beaucoup d'espoirs, mais il va vraiment falloir être réguliers et constants pour arriver à gagner le Rhum.

Quelles sont différences principales entre Charal 1 et 2 ?
Les bateaux sont de la même taille. En Imoca, il y a énormément de règles qui régissent la façon de concevoir le bateau, notamment le mât, la longueur du bateau, le tirant d'eau. Là où on peut jouer, c'est sur la forme des carènes, des appendices, notamment les foils, et là, on a pas mal de nouveautés par rapport aux autres bateaux et par rapport à Charal 1. C'est un bateau qui est beaucoup plus ventru à l'avant, un peu de la forme d'une boite à chaussures quand on regarde du haut, et on a les safrans à l'arrière qui sont beaucoup plus grands, plus une multitude de petits détails... On a essayé d'innover sur ce bateau-là pour gagner de la performance, ce qui n'était pas évident, car Charal 1 était déjà un très bon bateau.

Est-il plus facile à skipper ?
C'est toujours difficile de découvrir un nouveau bateau et d'en tirer le meilleur. J'ai passé trois ans sur Charal 1, et je le connaissais par cœur au niveau des réglages, c'était devenu automatique. Il faut que j'oublie un peu tout ça, car il y a des points communs, mais aussi pas mal de différences. Quand on fait du solitaire, c'est quand même ultra intéressant d'être en mode automatique et de faire les choses un peu par cœur. Là, quand je suis seul sur Charal 2 et qu'il faut aller vite, je reprends les références de Charal 1, qui ne sont pas tout le temps les bonnes. C'est un bateau qui a un gros potentiel, qui par moments va plus vite, et le pendant de la vitesse, c'est l'inconfort, donc plus ça va vite, moins c'est confortable.

Beyou : "On a vu que le bateau avait du potentiel"

Qu'est devenu Charal 1 ?
Le bateau a été vendu à Justine Mettraux et à son sponsor Teamwork (qui prendra également le départ de la Route du Rhum, ndlr). Les deux bateaux sont gérés par la même équipe technique et on les fait naviguer ensemble. C'est important pour nous, pour tester, car l'ex-Charal 1 est forcément une super référence pour se caler avec Charal 2. Et pout Teamwork, Charal 2 est censé être un petit peu plus rapide, donc ça leur fait un bon lièvre.

Comment arrivez-vous à trouver l'équilibre entre le fait d'aller vite et de ne pas casser le bateau ?
C'est compliqué. Evidemment, c'est un bateau neuf, donc on n'a pas forcément le degré de fiabilité qu'on aura dans un an. On a plein de doutes sur la marche du bateau et sur sa capacité à tenir dans le temps. En même temps, on a vu que le bateau avait du potentiel, il y a un angle de tir. Et moi je ne me vois pas prendre le départ d'une course en me disant « J'y vais pour pas la gagner ». C'est un peu notre quotidien de tirer fort sur les bateaux et être conservateurs, la frontière est un peu ténue, les choix ne sont pas évidents à faire. C'est important de traverser, de mettre des milles au bateau. Je serai vraiment à l'écoute du bateau pour sentir si tout va bien à bord, et si c'est le cas, je n'hésiterai pas à accélérer.

Le plateau est encore une fois relevé cette année...
En Imoca, c'est à chaque fois le cas. Il y a plus de 30 bateaux, des teams qui sont hyper forts. Même les teams moyens... Tout a augmenté en fait, en termes de professionnalisme et de potentiel. On cite souvent les gros teams : Charal, Apivia, LinkedOut. Mais derrière, même les petits moyens ont augmenté, donc quand on fait une erreur, ça se paie cash, et ce n'est pas une ou deux places qu'on perd, mais cinq ou dix. Il faut être bon tout le temps. C'est vrai qu'on a un adversaire, Charlie Dalin, qui est bon depuis un an ou deux, qui a gagné toutes les courses d'avant-saison, qu'on a envie d'aller chercher. C'est notre référence. Notre objectif, c'est déjà de se mettre à son niveau, et si on peut finir devant, on ne se privera pas.

Beyou : "Franck Cammas apporte énormément à toute l'équipe"

Vous travaillez désormais avec Franck Cammas, que vous apporte-t-il ?
C'est vraiment mon double. Je peux me reposer sur lui. Quand je ne suis pas disponible, ou même à bord quand on fait du double, il prend le relais. Son rôle est de faire avancer vite le bateau, et il a ce savoir-faire technique. Et ses qualités de compétiteur, de régleur et de metteur au point du bateau font qu'on progresse à vitesse grand V avec lui. Il est très pointilleux et exigeant sur tous les réglages, ça pousse toute l'équipe vers l'avant, et moi ça me drive. Il apporte énormément à toute l'équipe.

On pourrait vous voir ensemble sur la Transat Jacques-Vabre 2023 ?
On en a un petit peu parlé car ça arrive vite. J'adorerais. Mais il n'y a rien de signé.

Le mois dernier, des personnalités du monde de la voile ont publié une tribune appelant à une prise de conscience écologique. Votre signature n'apparaissait pas. Pour quelle raison ?
C'est un sujet qui tient à cœur à tout le monde. Après, chacun pourrait rédiger une tribune. Sur le fond, évidemment que c'est une préoccupation. Evidemment qu'on fait tous attention. Sur la forme, je ne suis pas persuadé que ce soit la meilleure. En tout cas, ce n'est pas le format avec lequel mes partenaires et moi avons décidé de s'exprimer. On peut faire beaucoup de choses sans forcément le crier sur tous les toits. Nous sommes très soucieux de ça. On a revu tous nos process de construction, tous nos ateliers ont été remis aux normes. L'écologie c'est important, mais la santé au travail, l'aspect social..., nous sommes des entreprises qui font extrêmement attention à cela. On sait qu'on est regardé. Être respectueux de la réglementation, c'est un réel challenge et on s'attelle à ça. Et il ne faut pas trop tirer sur l'ambulance : quand on est en mer, on est en quasi-autonomie énergétique, on avance avec le vent, sur des bateaux qui ont des durées de vie, pour certains, de plus de vingt ans, on utilise des voiles sur plusieurs courses, les voiles sont recyclées... Il faut aussi ne pas oublier de souligner tout ce qu'il y a de bien dans notre sport. Chacun doit faire sa prise de conscience, chez nous ça fait un paquet de temps qu'on l'a faite. Tout est perfectible, mais on avance sereinement. C'est ma façon de faire les choses. Je ne suis pas forcément fan d'étaler publiquement les choses qu'on fait.

Dans cette tribune, les personnalités appelaient à faire plus de courses en aller-retour afin de réduire l'impact des logistiques de transport...
On en fait déjà. Toutes les courses d'avant-saison sont des courses aller-retour. La Bermudes 1000 Race, la Vendée Arctique Race... Après, il ne faut pas oublier que ce sont des bateaux de course, qu'on est là pour faire du spectacle et faire rêver les gens. J'entends beaucoup de gens qui me disent : « vous m'avez manqué depuis le dernier Vendée, depuis la dernière Jacques Vabre, on aimerait qu'il y ait plus de courses ». On a des bateaux de haute technologie, qui offrent un spectacle fabuleux, qui ne polluent pas, mais qu'il faut entretenir. Donc quand on a fait une Transat avec ces bateaux-là, il faut une équipe technique pour les remettre en état, et les bateaux reviennent par la mer quoiqu'il arrive, même si ce n'est pas une course aller-retour. Charal 2 reviendra par la mer, pas sur un cargo.

Crédit photo : Eloi Stichelbaut - Polaryse / Charal

Vos réactions doivent respecter nos CGU.