Philippe Lucas : "Je ne me rendais pas compte de la gravité du problème"

Aurélien Canot, Media365, publié le vendredi 24 mars 2023 à 11h05

Philippe Lucas est maintenant à la tête de la "Team Lucas Sport Planète", son équipe de nageurs rebaptisée ainsi depuis qu'elle a rejoint le mouvement Sport Planète, lancé par MAIF il y a quatre ans. Au même titre que Charlotte Bonnet, qu'il entraîne désormais à Martigues, le coach emblématique a fait partie des animateurs de la première journée de sensibilisation à un meilleur respect de l'eau, ce mercredi. Il revient pour nous sur cette expérience, nous parle de son quotidien et des nouvelles stars de la natation française.

Philippe Lucas, Comment en êtes-vous arrivé à rejoindre le mouvement Sport Planète, à fonder le "Team Lucas Sport Planète" sur fond de pratique du sport beaucoup plus éco-responsable et, en ce qui vous concerne, de la préservation de l'eau ?
C'est une idée de Sophie Kamoun (NDLR : ancienne nageuse olympique) qui connaît la MAIF depuis longtemps. Même si certains nageurs de mon groupe ne font que du bassin, nous avons fait de la nage en eau libre notre spécialité. La MAIF a pensé que c'était une bonne idée que je rejoigne avec mon groupe ce projet en rapport avec l'eau et l'environnement... Les nageurs d'eau libre sont très souvent confrontés à des problèmes de pollution pendant les compétitions. Nous avons eu une réunion de sensibilisation très intéressante avec un spécialiste de l'environnement (NDLR : Didier Lehenaff de SVPlanète). C'est difficile de se rendre compte de la gravité du problème. Je me souviens qu'il a dit que chaque minute, il y avait 17 millions de déchets versés dans les océans... Chaque minute... Il a également parlé des pays qui disparaîtront à terme. Les nageurs ont adhéré au discours. Puis nous avons eu cette journée de mobilisation du 22 mars. Les nageurs ont donné d'eux-mêmes et personne n'a rechigné. Nous avons échangé avec les associations locales (NDLR : 1 déchet par jour, Clean my Calanques et Sauvage Méditerranée) et les nageurs ont ramassé des déchets sur l'étang de Berre.

Avez-vous l'impression d'avoir revu votre attitude au quotidien par rapport à ce devoir d'éco-responsabilité que vous incarnez désormais ?
J'ai toujours été concerné par l'écologie. Je n'ai jamais jeté un papier par terre par exemple. Mais un mec comme moi qui a un certain âge (60 ans), ne se rend pas compte. Une canette de Coca met 500 ans à se détruire, c'est terrible. Alors quand tu as accès à ces informations et que tu as le pouvoir, entre guillemets, de les transmettre aux gamins et de leur expliquer certaines choses (tri, économie de l'eau,...), c'est simple à faire mais important. Le sport est un bon levier de communication et si, à notre petit niveau, on peut informer le public et surtout les enfants, il faut le faire. Après, c'est un travail aussi avec mes nageurs. Je les incite à ne pas prendre de bouteilles en plastique mais plutôt des gourdes. L'eau, ça ne sert à rien de la laisser couler pendant qu'on se brosse les dents. On a tous fait ces choses-là à un moment. Quand tu vois le nombre de personnes dans le monde qui n'ont pas accès à l'eau... C'est invraisemblable.

Qu'allez-vous faire concrètement dans le cadre de ce programme Sport Planète ?
Plusieurs actions sont prévues avec MAIF et les associations locales tout au long de l'année. Nous allons aller dans les écoles sensibiliser les gamins du primaire et secondaire, ramasser des déchets, mesurer notre impact écologique. Il y a à la fois de la sensibilisation et du passage à l'acte. Mais avant il y a une phase d'apprentissage, nous devons assimiler toutes ces informations.
Parlons de votre quotidien sportif. On vous retrouve aujourd'hui à Martigues... Aviez-vous besoin d'un nouveau challenge ?
Non. Le maire de la ville (de Montpellier) avec qui je m'entendais très bien, n'a pas été réélu aux dernières élections. La nouvelle équipe municipale a fait le ménage. J'avais un CDI au club mais je ne pense pas qu'ils avaient les moyens de me garder financièrement. Il s'est avéré que j'ai eu une opportunité de rencontrer, par un ami, le maire de Martigues. Il construisait une nouvelle piscine et cela s'est fait naturellement. C'est une homme qui a une vraie parole. J'ai signé un contrat de trois ans et je m'y plais beaucoup. C'est vraiment top. Le personnel de la piscine est adorable aussi. Et les Martégaux sont vraiment gentils et bienveillants.

Prenez-vous toujours autant de plaisir à entraîner ?
Je ne sais pas combien de temps ça va durer mais je suis toujours autant motivé. Ma vie, c'est entraîner. Je ne sais faire que ça et j'adore ça. Je dis souvent que je n'ai jamais travaillé de ma vie...

"L'eau libre, c'est comme le vélo : c'est tactique et ça frotte"

Vous vous retrouvez de surcroît à la tête d'un groupe de nageurs de haut niveau...
Ça tourne pas mal. Je n'ai pas la star mais j'ai de très bons nageurs de niveau international.

Etes-vous toujours un entraîneur aussi exigeant ?
C'est toujours la même chose ! C'est mon fil conducteur, ma façon de travailler. Si je veux que ça soit parfait, ça doit être comme ça. Tu ne te refais pas... Le jour où tu lâches du leste, il faut t'arrêter.

Au fil des années, vous vous êtes pris d'amour pour l'eau libre. Qu'est-ce qui vous plaît autant dans cette discipline ?
J'entraînais une nageuse qui en faisait, Sharon van Rouwendaal, une Néerlandaise. Elle voulait essayer cette discipline, elle est allée aux championnats de France puis aux championnats d'Europe où elle s'est imposée. Elle a fait les Jeux et s'est retrouvée Championne olympique... J'ai d'autres nageurs d'eau libre qui sont alors arrivés (Marc-Antoine Olivier, David Aubry, Aurélie Muller). C'est parti comme ça.

Au niveau du travail au quotidien, est-ce très différent du bassin ?
C'est pareil. En fait, tu t'entraînes toujours en bassin, jamais en espace naturel. Tu y vas seulement pour les compétitions. Tu ne vas pas nager à 80 mecs dans un lac avec le risque de prendre des coups... Deux ou trois fois dans la semaine, on fait des entraînements différents, durs, encore plus longs mais autrement il n'y a pas de réelle différence. Lee meilleurs nageurs en bassin sur les épreuves de demi-fond sont les meilleurs nageurs en eau libre.

L'objectif, ça va être évidemment les Jeux de Paris...
Je n'entraîne plus Aurélie Muller mais j'ai Logan Fontaine. J'ai aussi un jeune garçon et deux jeunes filles qui sont pas mal. Après il faut se qualifier et ce n'est pas facile. Chez les garçons en France, il y a une grosse concurrence et ils n'en prennent que deux. Et après, il faut être parmi les quinze meilleurs mondiaux pour être définitivement qualifié... Ce n'est pas évident. Une fringale, un coup de coude, c'est vite arrivé et ça peut tuer une course. Il y a continuellement des coups dans cette discipline. Tu peux être le meilleur nageur du monde, si tu prends une patate ou un coup de coude en tournant à la bouée, c'est terminé. Ce n'est pas que de la technique, il faut gérer aussi le courant, les vagues... Il faut être intelligent, se ravitailler car une course de 10 kilomètres, c'est deux heures non stop. C'est un peu comme le vélo, c'est tactique et ça frotte.

"Quand Charlotte (Bonnet) est arrivée, elle était au fond du trou"

Pour revenir aux bassins, vous avez récupéré Charlotte Bonnet, autre chance de médaille à Paris...
Niveau médaille, ça va être quand même compliqué. Elle a arrêté le crawl car elle en avait marre, elle s'est mise à la brasse et aux quatre nages. À 29 ans, ce n'est pas évident de changer de spécialité, il fait avoir du cran. Elle peut faire des choses, bien sûr, mais il va falloir du temps pour qu'elle s'adapte et qu'elle atteigne le gratin international. C'est une fille qui a beaucoup de qualités.

On a l'impression qu'elle est mieux, plus épanouie depuis qu'elle est avec vous...
La travail qu'elle a fait avec Fabrice Pellerin, son ancien entraîneur, a été exceptionnel. Après, il peut y avoir de la lassitude entre le nageur et son entraîneur. C'est normal, ça m'est arrivé aussi. Sur le 200m nage libre, elle était en échec et avait sans doute besoin d'un second souffle. Quand elle est arrivée, elle n'était pas bien dans sa tête. Aux Jeux de Tokyo, je lui ai dit : "Ecoute, tu réfléchis mais si veux arrêter, tu arrêtes." Ça ne sert à rien de forcer. Elle n'avait pas envie d'arrêter mais psychologiquement, elle était au fond du trou.

On connaît votre recette. Avez-vous dû jouer un peu au psychologue avec elle dès son arrivée ?
Charlotte, c'est une fille qui a beaucoup de qualités mais qui a besoin d'avoir confiance en elle. C'est une très belle nageuse. Si elle a la tête, elle peut faire encore de très jolies choses. Tu ne te reconstruis pas comme ça et tu ne changes pas de spécialité comme ça. C'est comme si tu prenais un avant-centre au football et que tu le mettais dans les buts.

"Marchand, c'est du Manaudou !"

Etes-vous toujours aussi sévère avec vos nageurs et nageuses, comme vous pouviez l'être avec Laure Manaudou ?
Ce n'est pas une question d'être sévère. Ce que je veux, c'est qu'ils s'investissent autant que moi je le fais. Je veux bien me donner à fond, me lever à cinq heures ou six heures du matin et ne pas compter mes heures si en face, les mecs ne trichent pas. Je veux du sérieux, de l'investissement. Tu réussis ou tu ne réussis pas, c'est une chose, mais je veux de la détermination. Si un mec me la fait à l'envers, ça ne peut pas aller.

Un nageur regroupe ce sérieux et cette détermination, c'est Léon Marchand. Est-il vraiment phénoménal à vos yeux ?
Lui, c'est du Manaudou. Il sera exceptionnel. Il fera double champion olympique et va battre le record du monde. C'est un très, très grand nageur. En plus, c'est un garçon intelligent, gentil, discret, c'est un super mec. Ça fait des années que je connais son oncle et son père, il est bien entouré. Il a tout pour réussir et il réussira. Aujourd'hui, c'est déjà le meilleur et il a une grosse marge de progression. Le seul danger, ce sont les blessures. Il a la chance de faire trois championnats du monde en un an et demi. Il peut se faire un gros palmarès. Ce n'est pas un futur grand nageur, c'est déjà un très grand nageur. Un mec comme ça, bien sûr que tu as envie de l'entraîner. C'est vraiment un super nageur, et en plus c'est un bon gamin, c'est important.

Au niveau des autres Français, qui nous invitez-vous à suivre de près ?
Maxime Grousset est très fort aussi. Il s'entraîne à l'INSEP avec Michel Chérien depuis des années. Il peut gagner le 100m aux Jeux. En plus c'est pareil, c'est un bon mec. Il y en a d'autres aussi. Je pense que les Français feront de bons Jeux l'an prochain.

Le métier de consultant, est-ce fini pour vous ?
Moi, ce que j'aime bien dans cette activité, c'est le foot. Consultant en natation, tu te fais ch... La ligne 3 ou la ligne 4 qui gagne, moi ça m'emmerde. Consultant foot, ça me plaisait. Mais le reste,non. Je l'ai fait avec Laure, parce que c'était le binôme, mais tout seul, je ne l'aurais pas fait.

Avez-vous le temps de faire d'autres choses en dehors de l'entraînement ?
Non, c'est impossible.

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