Escrime : Que deviens-tu... Laura Flessel ?

Escrime : Que deviens-tu... Laura Flessel ?©Media365

Aurélien CANOT, Media365, publié le vendredi 25 février 2022 à 10h06

Présente la semaine dernière aux côtés des jeunes talents du Team BNP Paribas, Laura Flessel (50 ans) a pu livrer de précieux conseils aux protégés de Jo-Wilfried Tsonga sur le double projet sports et études, ainsi que sur la préparation de la reconversion professionnelle une fois la carrière passée. C'est précisément ce que l'ex-championne enseigne dans l'école "Sport Excellence Reconversion", qu'elle a fondée l'an dernier pour accompagner les sportifs dans la réussite de leur après-carrière, et qu'elle nous présente dans cet entretien exclusif au cours duquel la championne olympique est également revenue sur sa propre expérience.

Laura Flessel, qu'avez-vous transmis aux jeunes joueurs de la Team BNP Paribas Jeunes Talents ?
C'était un moment de partage très positif qui a permis d'échanger sur le savoir-faire, le savoir-être et le savoir-devenir, en quelque sorte le cheminement du sportif. Ils sont jeunes, talentueux et reconnus par BNP Paribas ainsi que par la FFT comme de réels talents, donc l'idée, c'était de leur parler de ce parcours qui peut être long et qui ne présente aucune garantie de réussite. Leur expliquer qu'ils ont du talent ainsi qu'un environnement conciliant, mais qu'il faut toujours être à l'écoute des indicateurs de progrès et savoir les analyser. Il faut planifier les choses tout en étant capable de lâcher prise en cas de victoire, la savourer car elle n'est jamais acquise à l'avance. On a parlé de joie, de passion, de la rigueur du sport et aussi du double-projet. Des données chiffrées montrent en effet qu'il faut l'améliorer. Concilier le sport et les études peut être difficile mais pas insurmontable. Cela a été un moment d'écoute, de rires, de questionnement aussi et j'espère qu'ils sont repartis gonflés à bloc, car un superbe challenge les attend.

Des questions vous ont-elles interpellé davantage que d'autres au cours de cet échange ?
On a beaucoup échangé sur l'accompagnement avant le Bac, car on voit qu'il y a du stress pendant cette période. Le jeune qui fait collège et lycée et sur comment on arrive à bien appréhender cette rythmique pour que le sportif ne décroche pas avant le bac mais puisse s'adonner par la suite à la compétition avec plus de sérénité. Il en ressort qu'il y a une réelle orientation vers les cours à distance pour répondre à la complexité du rythme du jeune sportif. Mais il faut améliorer les cours à distance, les solutions sont là mais il faut que tous les acteurs se mettent autour d'une table pour avancer dans la bonne direction. Car cela soulève du stress pour les parents comme pour les jeunes talents, qui ne veulent pas être dans l'échec.

Pourquoi avez-vous décidé de fonder cette école ?
Parce qu'il y avait de la demande, notamment en terme de reconversion post-carrière. Les chiffres sont criants : plus de 8 000 sportifs par an arrêtent leur carrière, tous sports confondus, qu'il s'agisse de sports d'hiver ou d'été, de professionnels ou d'amateurs, individuels ou collectifs, handisport ou valides. C'est une réflexion à avoir de manière plus large pour améliorer la reconversion. On se rend compte que plus de 40% des athlètes décrochent avant ou après le bac et s'interrogent, somatisent ou se blessent lorsqu'ils arrivent en fin de carrière. Ce sont 40% de personnes à qui on doit amener des solutions. C'est la réponse de notre école, qui peut accompagner ces athlètes sans condition de diplôme, dans la mesure où nous valorisons sans aucun complexe l'ADN et les qualités développées pendant la carrière sportive. Nous avons, avec le groupe ACE, l'opportunité de pouvoir les monter en compétence dans les univers métiers-passions. C'est vraiment déterminant aujourd'hui pour eux de pouvoir se dire qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils n'ont pas à avoir peur du lendemain et que le temps reste un allié. Un sportif de haut niveau met 8 à 10 ans à acquérir une certaine sérénité dans sa reconversion professionnelle. Là encore, il faut que l'on s'attache à anticiper pour bonifier la transition de la carrière sportive vers la carrière professionnelle.

Faites-vous référence à ce que l'on appelle communément dans le sport "la petite mort"?
Certains parlent en effet de "petite mort", car le téléphone ne sonne plus, qu'il n'y a plus l'adrénaline de la compétition et que l'on ne défend plus les couleurs de la France. On n'est plus non plus dans un rapport à l'excellence à l'instant T le jour J. Il faut redonner du sens à sa vie et ce que l'on souhaite devenir. De plus, la rupture avec son sport peut amener un changement de situation familiale (divorce, pauses bébé) qui génère encore davantage de stress.

"Combien de sportifs ont contribué aux titres de Teddy ?"

Est-ce aussi votre expérience professionnelle et votre après-carrière qui vous ont poussé à servir de guide à vos successeurs ?
En tant que sportive et ancienne ministre, j'ai eu accès à des chiffres. Et cela m'a amené à créer cet accompagnement individualisé pour les sportifs de haut niveau, car il faut absolument que les générations futures s'inspirent aussi de notre vécu. Cette école constitue une solution complémentaire à ce qui existe déjà avec une maniabilité pour les sportifs, parce que nous l'avons vécu, et moi la première. Et cette solution n'est pas limitée qu'aux médaillés. Elle existe pour tous ceux qui ont mouillé le maillot pour la France ou pour leur club. L'idée, c'est vraiment : « Tu viens avec ton ADN et tes qualités et nous, on t'aide à transformer pour que demain, tu sois un acteur essentiel de ta propre vie professionnelle ».

Aviez-vous ressenti vous-même ce vide que laisse la fin d'une carrière ?
Oui, totalement. Le téléphone ne sonne plus, les gens détournent le regard, ils ont peur qu'on leur demande un service. Cela a été la même chose après ma carrière ministérielle : les « vrais faux-amis » disparaissent. Je savais que j'allais encore me retrouver seule, uniquement avec mon environnement, mon noyau dur. Mais je savais ce que je souhaitais faire, j'ai pris le temps de le formuler et aujourd'hui, Sport Excellence Reconversion est devenue l'un de mes atouts. Parce qu'il faut savoir tendre la main, être solidaire. Sans rien vous cacher, j'ai perdu des amis dans le monde du sport, car on n'a pas su les aider. C'est aussi pour cela que l'on s'est regroupés entre sportifs pour cofonder cette école, avec Richard Hulin. Il est compliqué de donner vingt ans de sa vie à une famille sportive et à vingt ans et un jour, de ne plus en faire partie. Nous souhaitons que tout sportif puisse s'inscrire et rejoindre cette nouvelle communauté.

Vous ciblez également les sportifs qui n'ont pas eu votre chance de remporter des titres ou de propulser la France au sommet...
Je suis devenue une championne grâce à des adversaires qui n'ont pas pu gagner quand j'étais au sommet. Il faut aussi que l'on s'attarde sur ceux qui nous font devenir champion : les remplaçants, les sparring partners... J'aime à dire que Teddy (Riner) est dix dois champion du monde, mais combien de champions et de sportifs français ont contribué à son entraînement ! Et ils sont anonymes. Notre école est aussi pour ces sportifs, qui, certes, ne sont pas médaillés, mais qui ont l'ADN que recherchent en revanche les entreprises aujourd'hui.

Avez-vous assisté à des drames ?
Oui, nous avons des sportifs au RSA, d'autres qui ont intenté à leur vie. Il y en a aussi qui ont très bien réussi leur reconversion. J'ai envie de faire un clin d'oeil à Stephan Caron dans la finance ou Valérie Barlois dans l'escrime, pour parler aussi de ma famille (rires). Il y a des autodidactes qui sont dans l'œnologie, qui sont entrepreneurs... Il faut aussi s'attarder sur ceux qui ont eu un rapport compliqué avec la scolarité mais qui ont une intelligence de transformation magnifique. Nous nous engageons à les accompagner et à identifier les secteurs et les univers qui leur correspondent. Nous avons la chance d'avoir des acteurs-entreprises qui nous accompagnent dans ce travail de reconversion et voient en nos sportifs de cette première promotion les employés de demain dans leur entreprise. Je pense à la natation, l'équitation, l'escrime, mais aussi au hand et au foot... La deuxième promotion tourne autour du volley, du cyclisme et encore du hand. Le message passe, on travaille étroitement avec les clubs mais on veut maintenant passer à la vitesse supérieure.

"J'ai à chaque fois rencontré des personnes qui m'ont faite rebondir"

Les difficultés concernent-elles davantage encore les sportifs issus des disciplines qui rapportent le moins d'argent, et dont fait notamment partie l'escrime ?
Oui, nous sommes un sport plus confidentiel, donc nous sommes contraints de travailler très vite le double projet. Moi, avant d'avoir ma fille, je m'entrainais trente à trente-cinq heures par semaine. Après sa naissance, c'était vingt à vingt-cinq heures, plus le travail à côté. On est obligé de travailler et c'est compliqué. Quand on n'a pas cette sérénité professionnelle, c'est encore plus compliqué. C'est pour cela que nous avons réfléchi au financement de nos formations. Il faut aussi dire au sportif que les financements sont possibles et ne pas avoir peur de mettre en place cette reconversion en passant par les financeurs qui existent.

Comment vous impliquez-vous quotidiennement au niveau de l'école ?
Pour le moment, nous sommes dans la phase de communication et de diagnostic, nous travaillons sur les conventions avec les clubs et les entreprises afin qu'il y ait derrière une transformation professionnelle. En ce qui me concerne, en fonction des programmes, si cela me touche, je me déplace. Et là en l'occurrence, j'ai trouvé important de pouvoir prendre ce temps de parler de mon expérience à ces jeunes talents du Team BNP Paribas qui veulent s'engager dans le haut niveau, des difficultés mais surtout du plaisir de briller et de durer, sans en avoir aucune garantie. "Jo" (Jo-Wilfried Tsonga), leur parrain dans le cadre de ce programme Jeunes Talents, disait dimanche dernier : "vous enclenchez une dynamique mais sachez qu'il n'y a aucune garantie de devenir champion. En revanche, soyez champions de votre projet." Si l'on prépare les sportifs, ils seront plus incisifs sur leur parcours.

Votre reconversion est-elle telle que vous l'imaginiez ? Peut-être même au-delà encore ?
Cela a été parfois compliqué, mais j'ai à chaque fois rencontré des personnes qui m'ont permis de rebondir. Et en fait, c'est une réussite. Je garde mon état d'esprit de compétitrice car chaque jour suffit à sa peine et qu'il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Je suis dans ce travail permanent de valoriser chaque jour et être plus performante que la veille. Je m'inspire de ce qui a été fait, mais je me tourne aussi vers l'avenir pour être en accord avec le présent.

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