Ibrahim Al-Hussein ou celui qui n'abdiquait jamais

Clément Pédron, Media365 : publié le jeudi 19 août 2021 à 16h22

Ibrahim Al-Hussein sera le porte-drapeau de la première délégation des réfugiés lors des Jeux d'été paralympiques. Amputé d'une jambe à la suite d'un bombardement en Syrie, le nageur s'est peu à peu reconstruit, au bout d'un long chemin, pour toucher du doigt son rêve à Tokyo.

« Quand j'avais encore mes deux jambes, mon rêve était de participer aux Jeux d'été mais je n'y suis pas parvenu. Quand j'ai perdu ma jambe et que je me suis remis à l'exercice et plus tard à la natation, j'ai réussi à me qualifier aux Jeux d'été paralympiques. J'y suis parvenu avec une seule jambe mais pas avec les deux. » Les rires d'Ibrahim Al-Hussein, récoltés par l'AFP, réchauffent tout de suite une ambiance qui peut s'avérer lourde après un tel récit. Cette histoire, c'est celle d'un jeune de 15 ans, fan de Ian Thorpe et Michael Phelps dont il suit tous les exploits aux Jeux d'été d'Athènes. Originaire de Deir-ez-Zor, en Syrie, sur les rives de l'Euphrate à une centaine de kilomètres de l'Irak, l'adolescent veut imiter son père, double médaillé d'argent lors des Jeux d'Asie à l'époque. Ibrahim Al-Hussein vit pleinement sa vie jusqu'à ce que le conflit syrien explose à partir de mars 2011. Ses treize frères et soeurs ainsi que ses parents décident de quitter la maison familiale. Le jeune nageur lui, reste. Un jour, alors qu'il sort de chez lui avec un ami, ce dernier est pris par les tirs d'un sniper. Sans réfléchir et à découvert, le jeune Syrien s'affaire autour de son copain lorsqu'une bombe explose à proximité, lui arrachant le bas de sa jambe droite. Sa cheville gauche est atteinte aussi. En pleine guerre et alors que le matériel médical manque, il trouve une personne pour soigner ses plaies : un dentiste.

Une traversée sur un radeau

Trois mois après le drame, Ibrahim Al-Hussein décide de fuir la Syrie pour chercher un véritable traitement pour sa jambe. Il parvient, avec l'aide d'un ami, à traverser l'Euphrate sur un radeau pour gagner la Turquie puis Istanbul. Là-bas, il bénéficie de l'aide d'autres réfugiés syriens et se rend dans un hôpital local pour se soigner. Les médecins lui fabriquent une prothèse de fortune mais celle-ci est très rudimentaire et bouge sans cesse si bien qu'il ne peut faire 300 mètres sans s'arrêter. « J'avais en permanence une trousse à outil dans mon sac à dos, raconte Ibrahim sur le site officiel des Jeux d'été. Je m'asseyais dans la rue pour réparer ma prothèse avant de poursuivre ma route. » Sa route comme il dit, c'est vers la Grèce et l'île de Samos qu'il entend la poursuivre. Le nageur réussit là où de nombreuses personnes échouent : traverser la mer Égée sur un canot pneumatique à la fin de l'hiver 2014. « Beaucoup de personnes ont dû faire le voyage des tas de fois parce qu'elles ont été refoulées ou leur canot a coulé. Heureusement, on est arrivés sur l'île de Samos et maintenant, je dis toujours : « le 27 février 2014 est la date où je suis né » ». Une fois arrivé sur le sol grec, Ibrahim est emmené de force en détention où il passe seize jours. À sa sortie et grâce à la générosité de ses amis réfugiés syriens de Turquie, il achète un billet de ferry pour Athènes. Là-bas, la chance lui sourit enfin lorsqu'il rencontre un autre Syrien qui a un ami avec le même handicap que lui. Il lui fait connaître son médecin et un certain Angelos Chronopoulos, prothésiste. Ce dernier, ému par l'histoire d'Ibrahim, fabrique la prothèse dont il finance l'intégralité.

Un nouveau départ

Le jeune homme débute alors sa nouvelle vie, trouve un boulot, un appartement et obtient en 2015, l'autorisation d'une piscine pour s'entraîner. « C'était la piscine olympique utilisée pendant les Jeux 2004 à Athènes. Pouvoir m'entraîner dans cette piscine après mon parcours de réfugié m'a vraiment motivé. Je me suis dit qu'un jour, je pourrais peut-être transmettre un message d'espoir au monde entier. » Six mois plus tard grâce à ses bonnes performances dans l'eau, Ibrahim est repéré par l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) qui lui demande de porter le drapeau olympique devant un logement pour réfugiés à Athènes. Dix jours après, le Comité International Olympique l'appelle et l'invite à participer aux Jeux d'été paralympique de Rio sous la bannière indépendante. Une joie incommensurable l'envahit. S'il ne ramène pas de médailles en raison notamment de son manque d'entraînement, Ibrahim a bien coché les Jeux d'été de Tokyo. En 2021, sa vie est désormais pleinement ancrée à Athènes où il continue de s'entraîner dans les lignes d'eau de ses athlètes préférés. Et l'histoire n'est que plus belle puisque l'ami aidé par le nageur en Syrie est vivant et père de trois enfants. Dans quelques jours, il aura l'honneur d'être le porte-drapeau de la première délégation paralympique des réfugiés. « Nous avons un proverbe en arabe : fais une bonne action et jette-la dans l'océan. Un jour, elle reviendra vers toi ».

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