Portrait : Manaudou, une figure française

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Thomas Siniecki, Media365 : publié le samedi 09 avril 2022 à 00h28

Refaire l'histoire de Laure Manaudou, c'est raconter un joli roman à la française. Sorte de bébé nageur vorace façonné par Philippe Lucas, elle a ensuite connu un certain nombre d'embûches tout en continuant à accumuler les succès.

Comment débuter l'histoire de Laure Manaudou sans la lier à Philippe Lucas ? Le charismatique entraîneur la fait quitter, à seulement quatorze ans, son cocon familial de l'Ain pour la coacher à Melun, où il la loge également jusqu'à sa majorité. C'est donc dans cette situation particulière qu'elle devient à seize ans, en 2003, quintuple championne de France et quadruple recordwoman nationale. C'est toujours le cas l'année suivante quand, à 17 ans, elle est championne d'Europe du 400 m nage libre et du 100 m dos, avant de devenir l'une des plus grandes vedettes de France à l'été 2004 : elle explose aux Jeux d'Athènes en devenant la première championne olympique tricolore de l'histoire, la deuxième garçons et filles confondus après Jean Boiteux en 1952.

Championne sur 400 m nage libre, elle remporte aussi l'argent sur 800 m nage libre et le bronze sur 100 m dos. Elle n'ira plus jamais aussi haut, ce qui ne l'empêche pas de cumuler trois titres mondiaux, neuf européens et 36 sacres nationaux jusqu'en 2007, tout en s'adjugeant plusieurs records du monde sur 200 m et 400 m nage libre. Ce dernier, propriété de l'Américaine Janet Evans, tenait depuis près de 20 ans et les Jeux de Séoul en 1988 (4'03"03 contre 4'03"85). Si elle suit son coach de toujours de Melun vers Canet-en-Roussillon, plus au soleil, elle ne tarde pas à prendre son envol vers l'Italie, se jugeant désormais incapable de supporter physiquement la charge d'entraînement imposée par Lucas. Sans surprise, ce dernier lui répond du tac au tac.

"Un état de saturation qui me prive du plaisir"

"Elle part parce qu'elle a envie de moins travailler. Elle fuit le travail. Ce n'est plus une nageuse, ce n'est plus une athlète. Quand on la voit, on a l'impression qu'elle a fait une croisière de six mois." Son aventure transalpine ne sera qu'une courte parenthèse, un petit cauchemar : déjà victime de plusieurs imbroglios administratifs pour savoir si elle pouvait s'entraîner à Vérone avec Luca Marin, son compagnon de l'époque, elle est surtout victime du veto de sa grande ennemie Federica Pellegrini. Au final, elle retourne chez elle, à Ambérieu, pour s'entraîner sous les ordres de son frère Nicolas afin de préparer les Jeux de Pékin en 2008. Elle n'y prend que la septième place sur 100 m dos et la huitième place sur 400 m nage libre, où Pellegrini améliore le record olympique (après avoir déjà chipé le record du monde).

Partant pour le Cercle des nageurs de Marseille, décrochant encore des titres de championne de France qui font d'elle la nageuse la plus sacrée de l'histoire du pays avec 52 médailles d'or, elle glane une 41eme médaille internationale aux championnats d'Europe (bronze sur 100 m dos) mais n'en peut plus : "Je suis à un état de saturation qui me prive du plaisir de nager." La pause est brutale, à seulement 22 ans. Dans la foulée ou presque, en 2010, elle devient maman d'une petite Manon, dont le père est Frédérick Bousquet. Puis son retour en vue des Jeux de Londres en 2012 est porteur de grands espoirs, avec de nouveaux titres de championne de France sur les 50 m, 100 m et 200 m dos, à quelques mois seulement du grand rendez-vous olympique.

Malheureusement, elle ne se qualifiera pour aucune finale aux JO, où c'est un autre Manaudou qui va crever l'écran et prendre un sacré relais : champion surprise du 50 m nage libre, son petit frère Florent la voit accourir transie de joie au bord du bassin pour l'enlacer, ce qui restera une image forte. Cette fois, c'est définitivement terminé pour Laure, non sans rafler trois ultimes médailles aux championnats d'Europe en petit bassin du mois de novembre, dont une énième victoire sur 50 m dos. Près de dix ans plus tard, mère de trois enfants (nés en 2010, 2017 et 2021) dont les deux derniers avec Jérémy Frérot - l'ancien membre du groupe Fréro Delavega -, sa popularité n'est pas démentie : beaucoup de gens totalement étrangers au sport et/ou à la natation ne citeront que Laure Manaudou pour évoquer cette discipline, tel un Philippe Candeloro en patinage artistique.

Elle a su en bénéficier pour toucher à tout au sortir de sa carrière, particulièrement avec un livre ou plusieurs apparitions télévisées : Splash, Le meilleur pâtissier, Mask Singer... et bien sûr un rôle de consultante grand luxe avec France Télévisions lors des Mondiaux 2015 ou les Jeux 2016 à Rio. Laure Manaudou détient toujours les records de France du 100 m dos (59"50 en 2008) et du 200 m dos (2'06"64 en 2008) ainsi que du 800 m nage libre (8'18"80 en 2007) et du 1 500 m nage libre (16'03"01 en 2006). Son empreinte sur le sport français s'annonce indélébile, tant elle a particulièrement marqué son histoire olympique à Athènes. "Vous avez, par votre détermination et votre talent, réalisé une course parfaite. Grâce à vous, la France est à l'honneur." Les mots d'époque étaient de Jacques Chirac. Que de chemin parcouru depuis le pavillon de Lucas à Melun...

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