Portrait : Le mythe Ashe, 30 ans après sa mort

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Thomas Siniecki, Media365 : publié le lundi 06 février 2023 à 10h00

Arthur Ashe est décédé le 6 février 1993. Comme ses contemporains Mohamed Ali en boxe ou Tommie Smith, en athlétisme, il fut un des premiers grands sportifs noirs américains, à une époque où rien n'était acquis.

Quand Arthur Ashe rejoint l'équipe américaine de Coupe Davis pour la première fois en 1963, l'année de ses 20 ans, la lutte du mouvement Black Power n'est même pas encore en place lorsqu'il devient le premier noir à intégrer cette sélection des Etats-Unis. Durant sa jeunesse, où il a grandi dans le sud ségrégationniste du pays, il fut interdit de participation à de nombreux tournois en raison de sa couleur de peau. La plupart, en vérité. C'est aussi lors de cette année 1963 qu'il a remporté un championnat interscolaire, ce qui lui permit d'intégrer l'université. L'exploit était donc colossal, autant sportif que social. Il s'accompagnera d'une portée hautement symbolique cinq ans plus tard. En 1968, quelques mois après l'assassinat de Martin Luther King, Arthur Ashe remporte ainsi l'US Open à domicile.

Nanti d'un superbe revers et d'un gros service, il devient aussi le premier noir à s'adjuger un tournoi du Grand Chelem, au terme d'un formidable combat de cinq matchs contre le Néerlandais Tom Okker (14-12, 5-7, 6-3, 3-6, 6-3). L'émotion est à son comble, particulièrement pour son père, ce qui va lui permettre de réaliser : "C'était génial de partager ce moment avec lui sur le court... J'ai ri et je l'ai enlacé. Il pleurait. Quand il m'a dit 'Bien joué, fils', j'ai compris à quel point ce moment comptait pour lui." Cette même année, Arthur Ashe lance également son triplé en Coupe Davis, avec trois succès consécutifs de 1968 à 1970. En dépit de cette notoriété pour le moins croissante, il se fait encore traiter de "négro" sur un court de Floride en 1969, alors qu'il s'entraînait. Le propriétaire du club demande même à l'exclure.

Noah : "Il a bouleversé ma vie"

En 1970, il récidive à l'Open d'Australie, qui se tient aussi sur gazon à Sydney, face au local Dick Crealy (6-4, 9-7, 6-2) - comme l'US Open, alors à Forest Hills. Cette année-là, toujours engagé au plus fort de la lutte raciale, il parvient à faire exclure l'Afrique du Sud de la Coupe Davis. Les Américains le soutiennent face au refus des Sud-Africains de lui délivrer un visa. Ne pas avoir gagné de tournoi sur leur territoire, en plein apartheid, restera comme un grand regret de sa carrière. En 1973 et 1974, il a perdu par deux fois face à Jimmy Connors en finale à Johannesburg. Au sommet de sa forme, il glane ensuite son troisième et dernier tournoi du Grand Chelem en 1975 à Wimbledon. Cette fois, Jimmy Connors ne lui résiste pas (6-1, 6-1, 5-7, 6-4).

N°2 mondial en 1976, Arthur Ashe est à deux doigts de remporter le Masters en 1979, à 35 ans. Ou plutôt à deux balles de match, celles qu'il ne parvient pas à convertir devant le tout jeune John McEnroe (6-7, 6-3, 7-5) qui l'emporte à 19 ans. Quelques mois plus tôt, à Wimbledon, il avait partagé un double pour l'histoire avec une autre étoile montante : Yannick Noah, marqué à tout jamais par cette association avec celui qui lui avait offert sa raquette à Yaoundé, en 1970. "Il a bouleversé ma vie, en m'aidant et en me montrant le chemin. Il a toujours été là dans les moments importants. Je continue à dormir avec cette raquette dans la tête..." Contraint à une retraite bien méritée, mais malheureusement un peu précoce, à cause de problèmes cardiaques en 1980, Arthur Ashe devient capitaine des Etats-Unis en Coupe Davis.


En 1983, à l'occasion de sa deuxième opération à coeur ouvert, il contracte le virus du SIDA à cause d'une transfusion sanguine. Ce qui conduira à sa mort dix ans plus tard, le 6 février 1993, à seulement 49 ans. Jusqu'à son dernier souffle, il s'est aussi battu afin d'aider ceux qui souffraient de la même maladie. Son héritage est immense, à commencer bien sûr par le nom du court central de l'US Open, plus grande enceinte de tennis au monde (avec plus de 22 500 spectateurs, elle est la seule à dépasser les 20 000), qui a vu le jour en 1997 et est venu s'accoler au court Louis-Armstrong. La fierté, pour les deux hommes, aurait été assurément immense de voir leurs patronymes ainsi mêlés dans le temple américain de la petite balle jaune.

Il a marqué jusque dans la chanson française, avec un évident clin d'oeil de la part du fils de Jacques Higelin (Arthur H). En juillet 2020, le producteur indien Ashok Amritraj (frère de Vijay, l'ancien joueur pro) révélait le tournage d'un documentaire qu'on espère le plus imminent possible : "Je veux raconter son histoire, comment un homme noir s'est frayé un chemin dans un monde blanc. Il était bien plus qu'un grand joueur de tennis. Il a beaucoup fait pour les droits civils aux États-Unis." L'homme de cinéma rappelle encore son fort attachement à la lutte en Afrique du Sud, portée également par ses discours aux Nations Unies : "Au milieu des années 70, il y a joué en insistant sur le fait que les noirs et les blancs devaient s'asseoir ensemble." Une vie qui, malheureusement, s'est révélée aussi courte qu'exceptionnelle.

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