Portrait : Kipchoge, le plus grand marathonien de tous les temps

Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 06 août 2021 à 22h40

Le marathon des Jeux de Tokyo, dans la nuit de samedi à dimanche, sera l'occasion de voir évoluer Eliud Kipchoge, recordman du monde et immense vedette du marathon qui a porté la discipline dans une autre sphère.

Eliud Kipchoge, à 36 ans, s'apprête à tenter un pari historique : devenir le troisième homme à conserver sa couronne olympique du marathon, l'épreuve antique des Jeux qui clôture traditionnellement chaque édition. Pour le moment, seuls l'Ethiopien Abebe Bikila (1960 et 1964) et l'Est-Allemand Waldemar Cierpinski (1976 et 1980) ont réussi cette performance. Mais qui de mieux que le recordman du monde pour s'attaquer à un tel défi, lui qui reste le seul à être passé sous la barre des deux heures et deux minutes, le 16 septembre 2018 à Berlin (2h01'39") ? La consécration serait immense et ultime pour celui qui, au marathon de Londres en octobre 2020, a été battu pour la première fois depuis 2013, et pour la deuxième fois seulement de sa carrière.

Car Kipchoge a d'abord été un spécialiste des courses de fond sur piste, et surtout du 5 000 m. Retracer le fil de sa carrière, c'est aussi se replonger avec appétit et une certaine nostalgie dans tout l'athlétisme du 21eme siècle : champion du monde des cinq kilomètres dès 2003 au Stade de France, il enchaînait dès les Jeux d'Athènes en 2004 avec une médaille de bronze, avant de conquérir deux médailles d'argent aux Mondiaux 2007, à Osaka, puis aux Jeux de Pékin en 2008. Après une cinquième puis une septième place aux Mondiaux 2009 et 2011 (à Berlin puis Daegu), c'est alors qu'il a entamé sa mue vers le marathon. Un choix plus que payant, carrément décoiffant puisque Kipchoge s'impose donc dès son premier essai, en avril 2013 à Hambourg.

"J'ai encore envie d'inspirer des gens"

Deuxième moins de six mois plus tard à Berlin, il enchaîne ensuite pas moins de douze victoires : deux par an depuis 2014, selon un calendrier classique parfaitement établi pour un coureur de marathon, avec une épreuve au printemps afin de préparer sa grande compétition de l'été. Seul le Covid l'a stoppé l'an dernier dans cette dynamique, et c'est donc en 2020 qu'il a dû réapprendre le goût de la défaite, seulement huitième à Londres. Pas perturbé pour un sou, Kipchoge a repris sa marche triomphale il y a moins de quatre mois, en s'imposant à nouveau à Enschede.

Le Kényan, qui a toujours privilégié un entraînement axé sur le volume et non sur l'intensité, est aussi celui qui tente de démocratiser le marathon. Ainsi, en octobre 2019, à Vienne, il passe sous les deux heures dans une opération médiatisée et sponsorisée par Ineos. Avec des lièvres, il termine en 1h59'40" mais son temps n'est pas officialisé car réalisé dans des conditions non homologuées - ce qu'il savait à l'avance...

A Sapporo, où sont délocalisés les 42,195 km olympiques, Kenenisa Bekele ne sera pas là. Sans son rival historique, les férus de course de fond, et spécialement de marathon, sont frustrés. Mais sportivement, pour Bekele, c'est une chance supplémentaire de briller. "Je ne sais pas quand arrivera ma dernière course, assure la légende vivante à quelques heures d'une des courses de sa vie. Mais je serai encore là quelque temps. Mon esprit est focalisé sur les Jeux et ma fin de carrière approche, cependant j'ai encore envie d'inspirer des gens à travers le monde."

Kipchoge rappelle, à raison, qu'il est "toujours très performant". Et il a une idée assez précise derrière la tête : "J'aimerais, par exemple, avoir participé aux six plus grands marathons avant de m'arrêter." Il n'en a bouclé que trois, à Chicago, Londres et Berlin. Il lui manquerait donc New York, Boston et Tokyo (tiens, tiens...). Etant donné que le marathon japonais a lieu fin février, celui de Boston mi-avril et enfin début novembre pour New York... La carrière de Kipchoge pourrait donc s'étendre, grand minimum, jusqu'à 2023. Et comment ne pas songer alors à un ultime saut à Paris, pour ce qui pourrait être les cinquièmes Jeux de sa carrière, et ainsi finir en apothéose ? Le résultat de dimanche (départ à minuit, heure française) risque aussi de peser dans la balance.

Livreur de lait à vélo lorsqu'il était gamin, dans son village, et ce sur des dizaines de kilomètres afin de subvenir aux besoins de sa famille où sa mère veuve élevait seule tous les enfants, Kipchoge est déjà devenu un mythe. Il faut toujours un coup de pouce, une rencontre, et celle-ci s'est nommée pour lui Patrick Sang. Né à Kapsisiywa comme lui, le médaillé d'argent du 3 000 m steeple aux Jeux de Barcelone en 1992 a pris sous son aile celui qui allait devenir l'empereur du marathon. "Il m'a enseigné la morale, précise Kipchoge (pour Red Bull) à propos de celui qui est toujours son coach. Il m'a appris à me concentrer, être heureux et ne pas dévier de ma trajectoire. Il est un mentor, un coach sportif, mais aussi un coach de vie." Dont la fierté pourrait être encore décuplée dans une poignée d'heures.

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