Portrait : Hinault, l'Anquetil des temps modernes

Thomas Siniecki, Media365 : publié le mardi 07 juin 2022 à 19h36

Bernard Hinault reste considéré par beaucoup comme le plus grand cycliste français, en très bonne place également parmi le panthéon mondial. Il demeure encore, 37 ans plus tard, le dernier vainqueur national du Tour.

Comment devient-on un des quatre plus grands coureurs du Tour de France, le troisième à cinq victoires après Jacques Anquetil et Eddy Merckx - un club qui sera finalement rejoint par Miguel Indurain ? Forcément, il faut se montrer exceptionnel très vite et très tôt, ce qu'a su faire Bernard Hinault dès 1977. Pour sa troisième saison professionnelle seulement, à 22 ans, le futur "Blaireau" d'Yffiniac (Côtes-d'Armor) remporte Gand-Wevelgem et Liège-Bastogne-Liège, ainsi que le Dauphiné. Dès l'année suivante, le Tour d'Espagne doit servir de simple test à des ambitions plus élevées : bien sûr, c'est la victoire dès le premier coup pour ce nouveau génie français du vélo, qui enchaîne dans la foulée avec le Tour de France, à nouveau couronné de succès. La légende est en marche.

Joop Zoetemelk termine deuxième à près de quatre minutes (+3'56") et s'avoue non seulement vaincu, mais aussi fin expert de son sport pour les années à venir : "Il gagnera encore plusieurs fois le Tour, moi jamais !" Sur cette édition 1978, Bernard Hinault laisse déjà poindre son sacré caractère, en n'hésitant pas à mener la fronde des coureurs face aux horaires imposés par l'organisation. Au sommet de sa forme, il confirme à 24 ans en s'adjugeant en 1979 un deuxième Tour. Nanti du maillot jaune, il s'en va gagner l'étape des Champs-Elysées pour la gloire, malgré la présence de Zoetemelk, encore lui. A nouveau deuxième du général, mais cette fois distancé de treize minutes (!), il s'incline au sprint face à son meilleur ennemi français.

"De la jalousie ou de la bêtise humaine, mais il n'y a rien de mieux pour vous stimuler"

La saison 1980 n'est pas non plus la pire de sa carrière : s'il abandonne le Tour de France, et donc la perspective d'une passe de trois, à cause de son genou, il n'en remporte pas moins un Liège-Bastogne-Liège de légende ainsi que le Tour d'Italie et les Mondiaux, dans un contexte de revanche évident. Interrogé 30 ans plus tard par Le Dauphiné, il se remémore encore "une journée de grâce, de celles où tu ne vois pas comment on peut te battre". Porté par les médisants : "Quand vous gagnez une fois, deux fois, vous suscitez la critique, certains pensent forcément que vous trichez. Des gens étaient contents que je coule une bielle. J'ai reçu des lettres, anonymes bien sûr. C'était de la jalousie ou de la bêtise humaine, sans doute les deux, mais il n'y a rien de mieux pour vous stimuler."

En 1981 et 1982, l'état de lévitation se prolonge avec un nouveau doublé sur le Tour, portant à quatre le nombre de sacres, tout en remportant également Paris-Roubaix - qu'il n'apprécie pas, pourtant - en 1981 et un nouveau Tour d'Italie en 1982. C'est la première fois qu'un coureur réussit le doublé Giro - Tour. Trois ans après, il réitère sa sortie triomphale sur les Champs-Elysées, devant l'inévitable dauphin Zoetemelk qui finit cette fois à plus de six minutes au général (+6'21"). Puis l'année 1983 marquera un premier tournant. Encore vainqueur de la Vuelta, son huitième grand Tour, il est absent du Tour de France sur blessure et laisse les honneurs à Laurent Fignon. C'est aussi le moment pour lui de quitter Cyrille Guimard, son historique directeur sportif, et de former l'équipe La Vie claire avec Bernard Tapie.

Battu par Laurent Fignon, qui récidive en 1984, Bernard Hinault connaît en 1985 la fameuse saison du crépuscule, celle qui sied à tous les grands (et rares) champions de l'histoire du sport. Il réussit ainsi un deuxième doublé Giro - Tour, non sans lancer une cohabitation difficile avec Greg LeMond, interdit d'attaquer et qui reste encore certain qu'il aurait dû gagner cette édition. Bernard Hinault, lui, assure qu'il a ensuite laissé triompher l'Américain en 1986, pour le dernier Tour du Français : "Si j'avais voulu être un salaud jusqu'au bout, j'aurais aussi gagné celui-là. Mais je lui ai donné ma parole en 1985, et je l'ai respectée jusqu'au bout." C'est avec cet orgueil et cet aplomb, aussi, que Bernard Hinault a forgé son mythe et sans doute conquis quelques succès avant même de monter sur le vélo.

Présent dans l'organisation du Tour jusqu'en 2016 et désormais âgé de 66 ans, celui qui est aussi devenu sélectionneur des Bleus (de 1988 à 1993) a réussi le tour de force de durer au plus haut niveau durant près de dix ans, de 1977 à 1985. C'était l'époque Bernard Hinault, celle qui a modernisé le cyclisme en France tout en continuant de faire le lien entre les générations de mordus sur les routes, après Jacques Anquetil ou Raymond Poulidor. Il demeure malheureusement le dernier coureur tricolore à avoir remporté le Tour de France, lors de cette fameuse édition 1985. Mais après Laurent Fignon, les Laurent Jalabert, Richard Virenque et désormais Julian Alaphilippe ou Thibaut Pinot entretiennent l'héritage à leur manière.

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