Portrait : LeMond et la France, toute une histoire

Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 02 juillet 2021 à 19h30

Depuis la destitution de Lance Armstrong, Greg Lemond reste le seul Américain à avoir remporté le Tour. Triple vainqueur, il reste célèbre en France pour ses immenses rivalités successives avec nos grands champions.

Il y a près de 32 ans, Greg LeMond devenait l'homme le plus détesté de France. Le 23 juillet 1989, l'Américain remportait le deuxième Tour de sa carrière avec huit minuscules secondes d'avance sur Laurent Fignon, au terme de ce fameux et maudit contre-la-montre... L'arrivée du Français, comme perdu sur l'immense ligne droite vide des Champs-Elysées, est restée dans les mémoires de tous ceux qui l'ont vécu et doivent encore se refaire le décompte dans leur tête. Pour les suiveurs de l'Hexagone, surtout le grand public, c'est bien sûr l'image qui reste de LeMond. Mais la carrière de l'Américain, triple vainqueur du Tour de France - après avoir déjà dominé Bernard Hinault en 1986, puis triplé la mise en 1990 -, ne peut évidemment se résumer à ça.

Egalement double champion du monde à sept années d'intervalle, en 1983 puis 1989, LeMond jouit malgré tout d'une belle image en France. En 1985, alors qu'il aurait pu s'imposer à Paris, il a attendu sur consigne d'équipe son leader Bernard Hinault, lequel lui a alors promis de l'aider à remporter la course à son tour l'année suivante. Pas forcément une parole d'honneur de la part du "Blaireau", qui n'hésitera pas à attaquer. Mais l'image des deux hommes main dans la main sur la ligne d'arrivée à L'Alpe d'Huez, en fin de deuxième semaine, est également devenue un des grands moments de l'histoire du Tour. Sous l'égide de leur patron Bernard Tapie, dirigeant de la formation La Vie Claire, ils franchissent la ligne main dans la main.

"Hinault était comme mon frère"

LeMond est en jaune et le restera, non sans de nouvelles tentatives de Bernard Hinault. Bernard Tapie, pour L'Equipe, est revenu sur cet épisode il y a deux ans : "Je n'avais pas autant d'atomes crochus avec LeMond, il était très aigri d'être dans une équipe où ils avaient tous un penchant pour Bernard Hinault. Je suis intervenu pour leur proposer que celui qui gagne l'étape gagne le Tour. Car si on continuait, c'était ni l'un, ni l'autre. J'ai vu que Bernard Hinault ne gagnerait pas, mais comme il est très intelligent, je lui ai dit qu'il fallait absolument qu'il le protège, qu'il ne fallait pas faire les cons au vu du monde qu'il y avait... Toute la France croirait alors que Bernard Hinault tire LeMond. Tous les deux sont contents, il y en a un qui gagne le Tour et l'autre qui n'est pas largué. Finalement, c'est le plus fort qui a gagné."

Bernard Tapie conclut : "Moi vivant, jamais je ne ferais gagner quelqu'un qui n'est pas le plus fort." Mais LeMond gardera toujours une certaine rancoeur de cette époque... surtout dirigée contre son patron : "Bernard Hinault s'est toujours très bien comporté avec ses coéquipiers, il était comme mon frère, rappelait ainsi LeMond en 2015 (pour Le Point). Mais je ne lui en veux pas du tout. Je me dis surtout qu'il était sous l'influence de Bernard Tapie et qu'il subissait la pression de son sponsor. Je crois que Bernard Hinault aurait été très bien influencé par une personne comme Cyrille Guimard, cette année-là." Le grand directeur d'équipe français a été le premier mentor de LeMond, chez Renault au début des années 80. "J'aime bien Bernard Hinault, assure encore l'Américain. Je n'ai jamais eu de problèmes."


Puis, après un grave accident de chasse en 1987, arrive alors ce retour étincelant en 1989, au détriment de Laurent Fignon. "On retient beaucoup le contre-la-montre du dernier jour sur les Champs-Elysées, mais le maillot jaune avait changé d'épaules plusieurs fois, rappelle l'Américain (pour Libération). Le soir de L'Alpe d'Huez, à quatre étapes de la fin, je suis censé avoir définitivement perdu la course. Mais j'étais le plus frais, j'avais bien récupéré et je gagne ainsi le chrono." Laurent Fignon, surtout à chaud, a rarement adopté une analyse aussi simple, taxant souvent son adversaire de calculateur. En course comme dans l'image qu'il a toujours laissé transparaître, face aux journalistes ou dans ses différentes interventions.

Après une fin de carrière plus difficile, LeMond a toujours continué de rester proche du monde du cyclisme,notamment pour s'opposer avec force à Lance Armstrong qui l'avait rapidement pris en grippe. Comme une obsession, selon lui (à nouveau pour Le Point) : "Quand j'ai pris ma retraite en 1994, le jour où j'ai arrêté le Tour après seulement six jours de course, il a appelé ma femme et lui a dit qu'il souhaitait louer notre maison. Elle a répliqué qu'elle n'était pas à louer et il a répondu que j'étais foutu, cuit, que je ne courrais plus jamais. C'était effrayant. Il est obsédé par moi. Je continue de penser que je n'aurai jamais la paix (rires) ! Je ne le comprends pas. J'adorerais pouvoir. Je crois que ce serait intéressant pour moi." Une opposition qui contribue, sans aucun doute, à sa popularité.

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