Décastar 2018 : Le record du monde de Mayer

Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 15 juillet 2022 à 11h00

Reculer pour mieux sauter. C'est précisément ce qu'a fait Kevin Mayer, passant du très bas - une élimination précoce aux championnats d'Europe - à l'excessivement haut en l'espace d'un mois. Retour sur ce week-end de légende.

Quand Kevin Mayer s'attaque au Décastar, il y a un peu moins de quatre ans, le contexte est particulier. Et c'est cet environnement, justement, qui l'enverra vers les cieux : vice-champion olympique en 2016, champion du monde en 2017, il vient encore d'être sacré champion du monde en salle au mois de mars, mais surtout il se rate complètement aux championnats d'Europe du mois d'août dont il est le logique et immense favori. De quoi le pousser à s'engager le mois suivant à Talence, la Mecque du décathlon en France, avec la rage au ventre. "L'envie est très vite venue", révèle-t-il rapidement après son triple zéro de la longueur à Berlin. Dès le 100 m, première épreuve, le ton est donné : record personnel largement battu en 10"55.

La revanche en mondovision prend une autre ampleur sur la longueur, histoire de chasser les démons. Nouveau record personnel non pas amélioré, mais explosé à 7,80 m, soit plus de quinze centimètres de mieux que sa précédente meilleure marque. Il tente déjà de calmer le début de folie ambiante (pour RMC Sport) : "Vous allez me parler de record du monde, mais je veux juste me faire plaisir sur chaque épreuve. J'ai toujours des sensations incroyables, mais cette fois j'arrive à les exprimer. Je fais mon petit bout de chemin." Au poids, c'est la barre des seize mètres qui est atteinte dès le premier essai. La hauteur, comme souvent, est plus tremblante : 1,99 m, 2,02 m et finalement 2,05 m passés à chaque fois au dernier essai. Là encore, il fallait évacuer les tensions historiques.

"Je suis au-dessus des nuages, je vois le soleil"

La première journée se termine en 48"42 sur 400 m, ce qui offre à Kevin Mayer un point d'avance à mi-distance sur le record du monde d'Ashton Eaton en 2015 - après cinq épreuves sur dix. Mais bien sûr, c'est le dimanche que tout se jouera. "Il y aura trois épreuves à risque, prévient-il le samedi soir. C'est là que ça va se jouer. Ça va être très stressant le matin et très fatigant le soir." Et très, très, festif la nuit... Nous n'en sommes pas encore là. Et ces trois fameuses "épreuves à risque" interviennent dès le début de la journée, avec d'abord un 110 m haies en 13"75, puis un lancer de disque à 50,54 m et enfin cette perche à 5,45 m. A chaque fois, c'est un nouveau record personnel qui saute et Kevin Mayer qui s'avance donc de plus en plus clairement vers la meilleure marque mondiale de tous les temps.

Après huit épreuves sur dix, sous un soleil de plomb en Gironde, le record semble ne plus pouvoir échapper au Français, en maîtrise totale de son art à l'âge de 26 ans. Galvanisé, dans un état de confiance maximal, il survole à nouveau le javelot avec un jet à 71,90 m ! Ne manque plus que le 1 500 m, cette ultime course qui finit par matérialiser chaque oeuvre de Kevin Mayer depuis plus de dix ans, comme ce fut encore le cas aux Jeux Olympiques de Tokyo l'an dernier. Parfois dans la déception, d'autres dans l'allégresse la plus totale à l'image de cette conclusion à Talence. Fort de son chrono de 4'36"11, il devient le premier athlète de l'histoire à atteindre la barre des 9 100 points. Et même 9 126 unités au total, soit 81 de mieux que le précédent record.

Son prédécesseur américain, qui l'a fait lui-même repousser ses propres limites lors des JO et des Mondiaux où ils se sont affrontés, passe le témoin au moyen d'un coup de téléphone : "Il avait l'air super content pour moi. Il m'a dit qu'il avait apporté sa patte au décathlon et qu'il fallait désormais que je reprenne le flambeau." Kevin Mayer réussit un des plus grands exploits de l'athlétisme tricolore, au même titre qu'Alain Mimoun, Guy Drut, Marie-José Pérec, Christine Arron, Jean Galfione, Ladji Doucouré, Christophe Lemaitre ou encore Renaud Lavillenie. Mais avec ce label "record du monde" en plus, ce qui apporte forcément une saveur toute particulière dans un sport où cette performance a toujours représenté une forme d'absolu.

Le titre olympique, bien sûr, en est encore un autre. Toutefois, ce dimanche 16 septembre 2018, c'est bien une partie de sa vie que le Français voit défiler : "Ce n'est pas seulement un sport, je me suis construit avec le décathlon et j'y ai appris plein de valeur. Je n'arrive pas à réaliser ce que je viens de faire, je suis au-dessus des nuages, je vois le soleil et il me met des coups. Si je ne partage pas ça, ça ne sert à rien. J'ai été entouré toute ma vie et je le suis encore. Sans tous ces gens, je ne pourrais pas y arriver. Mon plaisir est là, dans le partage. Je dédie donc ce record à tous ceux qui me suivent, de près ou de loin." Les mêmes qui ne doutent aucunement du potentiel intact de Kevin Mayer, dès les Mondiaux à Eugene (dans une semaine pour lui) puis avec Paris 2024 en évidente finalité.

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