Rédaction Media365, publié le mardi 06 décembre 2022 à 18h49
Les Marocains créent la sensation des huitièmes de finale de la Coupe du Monde, en se payant l'Espagne mardi aux tirs au but (0-0 a.p., tab : 3-0).
Sensation de cette première quinzaine, le Maroc écrit une histoire qui traversera les générations. C'est aussi à ce niveau-là que se situe la puissance d'une Coupe du monde : soulever un pays comme un seul homme, puis en affronter un autre comme lorsqu'on croise une bonne vieille connaissance.
Cette drôle de sensation planait dans l'air chaud et humide du Qatar à l'aube de ce Maroc-Espagne, sorte de réunion entre deux frères ennemis séparés par les quelques kilomètres du Détroit de Gibraltar. Par-delà la route (du soleil) qui les unit, et ce chemin sur lequel ils se bousculaient pour grimper vers les sommets, ces deux-là s'opposaient sur presque tout : leurs dynamiques, leur construction d'équipe, leur mode opératoire.
Le plan du Maroc était parfait
Observer le sens de la formule de Walid Regragui, le sélectionneur du Maroc, suffisait à mesurer la grandeur de l'instant. Il y avait un quart de finale à la clé, mais le Maroc l'abordait comme "une quatrième finale" - nuance. Un choc des styles où la capacité de l'Espagne à faire tourner son adversaire en bourrique par sa possession de balle étouffante était bien identifiée - "Ils font mal à l'adversaire, mais aussi au public... Tac, tac, tac...". On l'a compris et répété, l'Espagne avait bien le costume de favori, mais le Maroc avait les atouts pour la regarder dans les yeux. Le plan était établi et assumé : courir, souffrir, résister. Sans jamais capituler. Et miser sur la verticalité pour planter une brindille.
Douchée par le Japon (1-2) et passée par la petite porte que l'Allemagne avait oublié d'ouvrir, l'Espagne de Luis Enrique aurait eu tort de bomber le torse. D'autant que les Lions de l'Atlas avaient terminé leader d'un groupe comprenant le deuxième et le troisième de la dernière Coupe du monde.
L'entame de match a d'ailleurs vite planté le décor, la position des deux bloc-équipes dessinant une vraie bataille tactique. Vieille comme le foot et presque caricaturale, mais pas moins passionnante pour autant. Si l'on voulait l'imager, on pourrait résumer l'affaire à deux toiles d'araignée, tissées l'une en face de l'autre : celle de la Roja, ayant toujours vocation à engloutir sa proie avec cette utilisation de la largeur, en continu, de gauche à droite, puis de droite à gauche ; et celle du Maroc, un quadrillage précis dans les moindres recoins du terrain pour réduire les espaces et défendre la surface comme une forteresse imprenable. C'était la première partie du plan marocain. Pas une mince affaire. La seconde consistait à se montrer suffisamment menaçant sur les projections.
L'Espagne est tombée sur un os
On attendait beaucoup Ziyech, le héros du premier tour. On a davantage vu Boufal, l'Angevin, rappelant - sans jouer les chauvins - cette tendance selon laquelle un petit air de Ligue 1 flotte au Qatar, cet hiver. Par son sens du contrepied, le déroutant dribbleur a fait passer plusieurs frissons dans la surface espagnole, à l'image de ce centre précis pour le coup de tête d'Aguerd, qui a fui le cadre (43e). Avant cela, Mazraoui avait également testé Unai Simon sur une frappe dangereuse à mi-distance (33e). Bref, les Marocains étaient bien dans leurs crampons.
Dans ce contexte, tout le défi de l'Espagne consistait à générer de l'espace où il n'y en avait pas. Par des décalages sur des mouvements collectifs (souvent orchestrés par Pedri et Gavi), ou de la percussion sur des initiatives individuelles (Ferran Torres, Dani Olmo). En ayant le ballon 70% du temps, l'équipe de Luis Enrique a conservé sa ligne directrice, mais il lui a manqué ce zeste de créativité pour aller au bout de ses intentions. Admirables de ténacité, les Lions de l'Atlas n'ont jamais ouvert les vannes. Il y avait toujours un pied accrocheur, un tacle rageur, un coup de tête salvateur pour sauver la patrie. D'ailleurs, il a fallu attendre l'heure de jeu pour voir le premier tir espagnol cadré - œuvre de Dani Olmo repoussée par Yassine Bounou (55e) - , ce qui dit tout du match.
Bien sûr, les lignes se sont étirées à mesure que la fatigue a gagné du terrain, mais tout ce beau monde a continué à se renifler jusqu'au bout, après une sueur froide devant le but de Bounou, auteur d'un nouvel arrêt décisif (90e+5). Quelque part, il n'y avait pas de hasard à ce que la décision se fasse un peu plus tard dans cette partie d'échec mêlant patience et résilience. Les deux camps y ont laissé des plumes, forcément. Une équipe, le Maroc, pouvait commencer à piocher physiquement en courant après le ballon. Quand l'autre, l'Espagne, gagnait en nervosité ce qu'elle perdait en spontanéité, à force de chercher la solution.
Il fallait bien un vainqueur à ce petit jeu de dupes. Les balles de match n'ont pas manqué pour les Marocains, qui ont trouvé un second souffle. Lancé dans le bain, le puissant Cheddira s'est joué de toute l'arrière-garde de la Roja avant de manquer son dernier geste face à Unai Simon (104e). Mais les Espagnols ont eu leurs munitions, eux aussi, dans une seconde partie de prolongation à leur avantage, avec une pluie de vagues sous les huées de l'écrin d'Al-Rayyan, qui avait choisi son camp. Insuffisant pour donner un vainqueur. La séance des tirs aux but a donc conclu ce match épique. Et ce sont finalement les Lions de l'Atlas qui ont eu le dernier mot, après que Pablo Sarabia, Carlos Soler et Sergio Busquets manquent leurs tentatives face à l'impassable Yassine Bounou.
C'était un grand match. Avec sa dramaturgie. Ses sourires, ses larmes. Ses effusions de joie et ses visages déconfits. Porté par ses vertus mentales et un plan bien ficelé, le Maroc poursuit donc sa route dans cette Coupe du monde historique. L'Espagne n'est pas le premier col franchi, mais c'était le plus élevé, sûrement. Avant les prochains. Puisque le Portugal et la Suisse commencent à poindre à l'horizon, avant les Bleus ou l'Angleterre, en arrière-plan, dans un long périple aux allures de pèlerinage européen. Toujours plus haut. Toujours plus loin.