Tarbes/Yacoubou : "Fière d'avoir tenu bon et de n'avoir jamais renoncé à moi-même"

Aurélien Canot, Media365, publié le mardi 28 mars 2023 à 14h33

Comme elle le fait dans sa biographie "Géante : les matchs de ma vie" (édition L'Archipel, 20€), Isabelle Yacoubou (36 ans) revient pour nous sur les grands moments qui ont fait de la championne ce qu'elle est devenue aujourd'hui, à savoir une "immense" joueuse et mère de famille, dans tous les sens du terme. Entre deux performances vertigineuses avec Tarbes, son club actuel, l'ex-"Braqueuse", pas peu fière de son parcours, nous dévoile également les traits de sa personnalité.

Isabelle Yacoubou, qu'est-ce qui vous a amené à écrire ce livre, au titre évocateur "Géante : les matchs de ma vie" (édition L'Archipel, 20€) ?
C'est un livre qui a des racines assez lointaines. L'idée me trottait dans la tête depuis quelques années mais je ne trouvais pas le bon moment pour le faire. J'avais envie de partager mon expérience, par rapport à mes origines et où je suis arrivée, car cela pourrait inspirer d'autres personnes. Le timing a été accéléré par l'approche de la maison d'édition « l'Archipel » qui recherchait un profil comme le mien apparemment : athlète, femme de minorité... Je cochais ces cases-là. Je les intéressais, je n'ai pas hésité à dire oui et j'ai rapidement commencé le travail avec Sandra Bensoussan, l'écrivaine avec qui j'ai travaillé sur le projet.

Sachant que vous êtes toujours en activité, cela aurait pu constituer un frein à ce projet. Ca ne l'a pas été ?Absolument pas. Au contraire, c'est vraiment depuis la sortie du livre que les gens me parlent vraiment. Je ne voyais aucun inconvénient par rapport à ma carrière. C'est un livre qui parle surtout de mes débuts et mon parcours jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas un livre qui donne des réponses car je parle de moi, de ma vie et de ma construction. Selon moi, il n'y avait pas de mauvais timing pour sortir cet ouvrage.

Dans le livre, vous évoquez les "matchs de votre vie", mais contrairement à ce que l'on aurait pu penser, il n'est pas uniquement question de sportif...
Le choix du titre a été important pour moi. J'aime les jeux de mots et je savais que ce titre pouvait interpeller. On ne sait pas si je ne parle que de basket ou de ma vie, cela suscite l'attention. Ce qui est important pour moi, c'est raconter ce que l'on n'ose pas dire. Les titres en soi... Il suffit d'aller sur Wikipédia et de taper son nom et le site recrache toute votre vie, même des choses dont vous n'êtes pas au courant parfois. Je voulais qu'on parle des matchs dont on ne parle pas, ces matchs qui ont façonné l'athlète et surtout la personne derrière l'athlète. Je trouve qu'on ne met pas assez en valeur ces combats-là. Le choix du titre a été basé sur ce jeu de mots.

Le terme "géante" renvoie naturellement à votre taille (1,90m), qui est un atout certain dans le basket. Dans la vie de tous les jours, est-ce que cela a pu vous créer des problèmes ?
Non. Je n'ai pas le sentiment d'avoir subi ma grande taille tout au long de ma vie, au contraire. Je me suis rendue compte cependant que c'était un sujet qui touchait beaucoup de personnes. J'ai assumé ma grande taille, un trait très présent dans ma famille. Mon physique m'a servi. Dans un univers comme le basket, c'est plus facile d'être grande. En dehors de quelques situations comme en avion, ma taille n'a jamais été un problème. Cependant, c'était nécessaire pour moi d'évoquer mon physique parce que des gens souffrent d'avoir une grande taille. Mon physique m'amuse et interpelle certaines personnes lorsque je mets des talons par exemple, mais des gens se brident aussi par rapport à ça. Il faut mettre la lumière sur ces problèmes et on a la chance, en tant que personnalité sportive, d'avoir cette écoute, il faut s'en servir.

Vous faites le rapprochement entre la grande taille et le manque de confiance. Avez-vous souffert personnellement d'un manque de confiance ?
Et ce n'est toujours pas facile. J'essaie de travailler tous les jours sur ce domaine. Ma confiance n'a jamais été mon atout dans ma vie. Quand on est grand, on a l'impression qu'on prend beaucoup de place et il faut aussi faire avec le regard des gens. On se pose beaucoup de questions. C'est important d'assumer sa taille, de se dire qu'on n'est pas qu'un corps. J'ai des pensées, des émotions, des sensations. C'est nécessaire de trouver de la confiance par ses actions plutôt que par son physique.

"Ce livre a été bénéfique pour moi"

Vous vous êtes également démarquée par votre look et votre excentricité. Était-ce aussi là une manière de vous assumer plus aisément ?
Bien sûr. J'aime cette image de « femme forte ». Je n'ai pas le choix, je dois l'être car je suis fragile. Le fait de ne pas avoir confiance en moi, il fallait le gérer. À l'époque, je n'avais pas l'idée que je menais une thérapie sans mettre les mots dessus. Le fait de colorer ses cheveux et donc d'attirer le regard, c'était une manière de travailler ma confiance. Et de m'imposer, dans le bon sens du terme. Je ne voulais pas être transparente, je voulais exister au-delà de mon physique.

A-t-il été difficile pour vous de vous "mettre à nue" dans ce livre ?
Plus que difficile. C'était un exercice intense mais salvateur car cela m'a permis d'entamer une thérapie. On se rend compte qu'en tant qu'athlète de haut niveau, on n'a pas le droit de se sentir mal ni de se plaindre, il faut simplement endurer. Il y a plein de choses qu'on ne s'autorise pas et grâce à l'écriture du livre, je me suis plus ouverte. Je me suis dit : « Maintenant que tu es au courant de ces failles, comment les prendre en charge ? » J'ai aussi envie de grandir en tant qu'être humain donc c'est important de répondre à ces questions. Je me suis posé des interrogations, j'ai essayé de comprendre pourquoi certaines choses étaient encore douloureuses. On pense parfois que certains évènements sont passés mais finalement non, cela reste ancré. J'ai ressenti encore de la peine pour des choses mais je cherche à aller mieux. Ce livre a été bénéfique pour moi. Aujourd'hui, on nous demande tellement d'être fort qu'on n'ose plus demander de l'aide quand on en a besoin.

Avez-vous eu l'impression d'être une femme différente après l'écriture de ce livre ?
Absolument. J'espère être quelqu'un de plus optimiste, qui prend sa vie comme ce qu'elle a été. Je veux être une personne heureuse par rapport à sa vie, avec ses expériences extraordinaires. J'espère avoir l'opportunité d'écrire d'autres pages. Je vis dans le présent mais le passé doit servir d'éclaireur vers l'avenir.

Dans ce livre, il est notamment question des décès qui ont malheureusement accompagné votre vie. Quelle place tiennent ces évènements dans votre parcours ?
Aussi fou que cela puisse paraître, ils m'ont permis d'évoluer en tant que personne et athlète. Je commence ce livre en parlant du décès de mon père. Sans sa mort, je n'aurais peut-être pas eu cette destinée. Je ne serais peut-être pas allée au bout de certaines choses. Parfois, je me pose cette question : « Si je n'avais pas perdu toutes ces personnes, quelle personne aurais-je été ? » De l'autre côté, j'aurais aimé qu'il soit encore présent pour partager ma vie. On ne saura jamais si le fait de perdre des gens vous rendra plus fort mais pour moi, ça m'a permis de trouver une raison d'avancer, de me lever.

"Pendant quelques secondes, j'ai pensé à avorter"

Parmi les plus beaux matchs de votre vie, il y a cet accouchement, compliqué et en pleine carrière...
Oui c'est l'un des plus beaux moments de ma vie, avec l'adoption de mon autre enfant. Grâce à eux, tu prends une certaine hauteur par rapport au sport. Je suis perfectionniste et dès que ça ne va pas bien, on a tendance à vite broyer du noir. Grâce aux enfants, on tourne la page plus rapidement. Que tu gagnes ou que tu perdes, il faut s'occuper d'eux à la maison. C'est avec eux que tu rebondis et grâce à ça, j'ai été meilleure. J'ai pu me détacher de la performance pour me rapprocher d'eux.

Comment avez-vous géré l'annonce de cette grossesse et ses conséquences sur votre carrière ?
Dans ce livre, j'ai essayé d'être la plus honnête, la plus authentique et la plus transparente. J'ai toujours voulu être maman mais effectivement, lorsque je suis tombée enceinte, j'ai pensé, pendant quelques secondes, à avorter car je venais de signer un gros contrat (à Schio, en Italie) et je me suis dit : « Mince, je n'ai pas envie de renoncer à ces sous pour une grossesse. » C'est humain. Et j'espère qu'à la lecture de ces mots, les gens comprendront qu'on a le droit de se poser des questions. Le plus important est de faire des choix en adéquation avec ce que l'on est.

Vous dite que vous avez pris votre décision en quelques secondes... Cela n'a vraiment pas duré plus longtemps ?
Non, ça a duré quelques secondes. Quand je suis allée consulter, j'étais convaincue d'être enceinte. Le gynécologue m'avait dit que c'était impossible. Tout au long de ma vie, je n'ai jamais pris de contraceptifs. J'avais mon nouveau compagnon donc il ne fallait pas faire n'importe quoi. J'ai commencé à prendre la pilule donc pour le gynécologue, mes sensations étaient liées à cette pilule. Il n'y avait donc aucun risque que je sois enceinte selon lui. Quand il a annoncé le résultat, j'ai d'abord ressenti de la panique. Je ne savais ce que j'allais faire ni comment. J'étais à mille lieues de penser que je pouvais tomber enceinte, même si je le sentais en moi. Je me suis reprise après en me disant que c'était ce que j'avais voulu toute ma vie. Ce sont des réactions humaines.

Quand vous avez eu votre enfant, qu'avez-vous ressenti ?
J'étais déjà maman (NDLR : par adoption) donc je savais ce qui m'attendait. Ça n'a pas trop changé mon rythme de vie. Tu fais des concessions, c'est comme ça. Il faut s'organiser un minimum mais ça n'a jamais été difficile de concilier la vie de famille et ma vie professionnelle.

Ressentiez-vous une certaine pression par rapport à votre maternité et à ce gros contrat ?
Je ne fonctionne pas comme cela. J'essaie vraiment d'être en phase avec moi-même. J'ai tout de suite appelé mon président pour le prévenir, contre l'avis de mon agent qui pensait que c'était trop tôt pour communiquer sur ma grossesse, au risque que cela soit divulgué... Je n'en ai fait qu'à ma tête et c'est lui qui avait raison finalement. Je pensais qu'ils comprendraient. C'était une grossesse à risques, je risquais de perdre mon bébé. Naïvement, j'ai pensé que ça allait passer et que rien ne changerait.

"Je n'ai jamais renoncé à ma franchise et à mon franc-parler"

Aviez-vous eu le sentiment au cours de cette période sans jouer que le sujet était encore tabou ?
J'avoue que je n'ai pas regardé s'il y avait un impact par rapport aux autres. Le plus important à ce moment-là pour moi était de me recentrer sur moi-même. J'avais envie de vivre ma grossesse, prendre mon temps et être entourée des gens que j'aimais. Je n'ai pas cherché à comprendre si mon choix dérangeait des personnes. C'était comme ça et pas autrement. Le bébé était là, il fallait que j'en prenne soin. Ce qui a été compliqué pour moi était le retour. Je n'avais pas de prise en charge. Même si je fais partie des gens qui ont réussi à gagner un peu d'argent tout au long de sa carrière, ça reste quand même compliqué de vivre sans revenu avec un enfant et un bébé dans le ventre. C'était anxiogène à gérer car je ne savais pas combien de temps cela allait durer. Je voulais aussi allaiter. Il y avait plein de paramètres qui entraient en ligne de compte et ça assombrissait le futur.

Est-ce que concilier le rôle de maman et sa carrière professionnelle, que ce soit en club ou avec l'équipe de France, nécessite certains aménagements ?
De ce que j'avais expérimenté en club, le fait d'avoir été maman ne m'empêchait pas de performer. Au contraire, je bénéficiais du soutien de tout le monde et notamment de mon fils dans les tribunes. C'est quelque chose qui me rassurait plus qu'autre chose. Le fait de le voir épanoui, m'épanouissait également. J'étais plus sereine et mes performances s'en ressentaient. Cette année-là, j'ai été MVP de la Coupe et du championnat. Ça n'a pas du tout été une expérience négative. En revanche, lors de mon arrivée en équipe de France, j'ai vu qu'ils se posaient des questions par rapport à tout ça et au fait d'avoir mon fils avec moi. Au début, je n'ai pas compris car cela ne m'empêchait pas de bien jouer. Finalement, ça a été accepté et ça s'est plutôt bien passé, mais je n'ai pas compris leurs inquiétudes.

Etes-vous fière aujourd'hui de la femme et de la maman que vous êtes devenue ?
Je suis fière de n'avoir jamais renoncé à moi-même. À plusieurs reprises, cela aurait été plus facile pour moi de renoncer pour mieux vivre, être dans le confort et pas dans le conflit. Je suis fière d'avoir tenu bon, d'avoir respecté mes valeurs. Je me suis bagarré pour faire de ces valeurs, les bases de ma vie. Je veux que ça reste comme ça.

Vous parlez de "conflit", le mot est fort. Était-ce à ce point ?
Oui. Après l'équipe de France, j'ai vécu une expérience à Bourges qui n'a pas été de tout repos. Je n'entrerai pas dans les détails, c'est dans mon livre. C'est de plus en plus rare d'avoir affaire à des personnes directes et franches en face de soi. Encore plus dans le sport de haut niveau. Tout le monde doit être politiquement correct et moi, je n'ai jamais renoncé à ma franchise et à mon franc-parler, et j'en suis fière.

Ces barrières que vous évoquez, est-ce que cela n'a pas été quelque part l'un des combats les plus difficiles que vous ayez eu à mener au cours de votre carrière ?
Oui. Les gens pensent que c'est facile parce que l'on parle mais c'est plus difficile. C'est un sujet qui nous dépasse, ça ne me concerne pas uniquement. Le droit d'amener mon enfant en équipe de France, le droit de pouvoir avoir un enfant pendant ma carrière, ce sont des choses que je voulais pour moi mais je suis sûre qu'il y a d'autres personnes « touchées » mais qui n'ont pas la voix pour se faire entendre. Il y a cette responsabilité là-aussi. Il faut ouvrir la voie et ce n'est pas plus facile d'être le porte-drapeau mais je suis fière que ça fasse bouger les lignes, fière que mon exemple puisse être copié.

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