Thomas Siniecki, Media365 : publié le vendredi 27 mai 2022 à 11h00
Lewis Hamilton manque rarement une occasion de rendre hommage à Ayrton Senna. Preuve, s'il en fallait une, que le fabuleux destin du Brésilien a traversé les générations. Une histoire construite en bonne partie à Monaco.
Par où commencer lorsqu'il s'agit d'évoquer Ayrton Senna, la légende absolue de la F1 tant par ses performances et son génie du pilotage que par son charisme, cette dimension presque mystique et populaire apportée par le Brésilien à son sport ? Par le début, peut-être : le karting, dont il est vice-champion du monde en 1979 (à 19 ans) et 1980 ; puis la Formule Ford et la Formule 3 en Grande-Bretagne, avant le grand saut vers l'élite en 1984. Engagé au sein de la petite équipe Toleman, c'est déjà à Monaco, un de ses futurs circuits fétiches puisqu'il y détient encore le record de six victoires, qu'il réussit son premier fait d'armes. Pour la cinquième course de sa carrière, il termine deuxième derrière le meilleur ennemi de sa vie, un certain Alain Prost. Mais dans des conditions un peu particulières...
Sous un véritable déluge, la course est arrêtée et le classement entériné dès le 32eme tour, alors que le Brésilien remontait tous ses adversaires les uns après les autres. Alain Prost n'allait probablement pas y échapper. "J'étais en mesure de l'inquiéter", assure Ayrton Senna, qui est allé jusqu'à dépasser symboliquement le Français de colère en espérant chiper la victoire. Mais rien n'y a fait, c'était trop tard. L'essentiel, toutefois, était ailleurs : le mythe Ayrton Senna était né. De 1985 à 1987, il s'affirme chez Lotus, remporte six courses et finit troisième du championnat lors de sa troisième et dernière saison au sein de l'écurie motorisée par Renault. Il part alors en direction de McLaren, où il écrira ses lettres de gloire.
Prost : "Je ne pensais pas vivre au quotidien avec sa mémoire (...) Il me manque"
Il faudrait des dizaines d'heures pour évoquer en détail la rivalité entre Alain Prost et Ayrton Senna, équipiers durant deux ans jusqu'à une fin de cohabitation si impossible que le "Professeur" s'en est finalement allé chez Ferrari. Le film Senna, sorti en 2010 avec de remarquables images d'archive, s'y est employé, démontrant de remarquable manière à quel point la haine sportive se doublait d'un profond respect entre les deux champions. Ayrton Senna n'aurait pas été Ayrton Senna sans Alain Prost, et vice versa. Ce climat a marqué la F1 à jamais. Au plus fort des dominations sans partage de Michael Schumacher, Sebastian Vettel ou plus récemment Lewis Hamilton (ce qui a changé depuis quelques années), les fans n'ont cessé de regretter les joutes entre les deux hommes.
C'est dans ce contexte que les trois couronnes mondiales d'Ayrton Senna, en 1988, 1990 et 1991, conservent une place à part dans l'histoire. Plus en colère, au fond, contre la FIA et son président français Jean-Marie Balestre, le dieu vivant de Sao Paulo en vient même à critiquer publiquement Ferrari après le licenciement d'Alain Prost en 1991 : "Ce n'est pas une bonne chose pour la Formule 1. Malgré les problèmes et toutes les controverses que nous avons connus, je tiens à dire qu'Alain Prost est un pilote très performant et restera à jamais un champion du monde." En 1993, alors qu'Ayrton Senna termine sa dernière année chez McLaren, les deux monstres sacrés sont souvent vus ensemble pour discuter de la Williams.
Car l'année suivante, c'est le Brésilien qui prendra le relais du Français au sein de cette autre cathédrale britannique de la F1. Une collaboration qui s'arrêtera bien trop tôt, de manière tragique à Imola : le 1er mai 1994, alors que Roland Ratzenberger s'est déjà tué en qualifications la veille, Ayrton Senna meurt en course. Très affecté par le décès de son collègue autrichien, il confiait son mauvais pressentiment à sa compagne. Le médecin en chef Sid Watkins tente également de le convaincre de ne pas prendre le départ, notamment au vu de cet état psychologique incompatible. Un drapeau autrichien est retrouvé dans la Williams, puisque Ayrton Senna voulait le brandir en guise d'hommage sur un éventuel podium final.
A 34 ans, il venait de saluer en direct Alain Prost avant le Grand Prix, alors que ce dernier était consultant pour la télévision française. Le quadruple champion du monde reste hanté, près de 30 ans plus tard, comme il le confessait encore en 2019 pour France Inter : "On se souvient de ça toute sa vie. C'était terrible. C'est tout un pan de votre vie qui s'arrête. Et puis je ne pensais pas, d'ailleurs, vivre comme ça, pratiquement au quotidien avec son image et sa mémoire. Il m'avait appelé plusieurs fois pour me demander de revenir. Il me disait qu'il n'arrivait pas à se motiver contre les autres pilotes. Partout dans le monde, les gens ont notre rivalité en tête. Désormais, on se rend compte. Il me manque." Il nous manque aussi.